Emmanuelle Bercot a été approchée il y a quelques années par les productrices d’Haut et Court, Caroline Benjo et Carole Scotta, afin d'adapter le livre d'Irène Frachon, Mediator, 150mg. La réalisatrice a donc rencontré la pneumologue en amont pour préparer le film : "J’ai tout de suite compris que cette femme haute en couleurs pouvait être un extraordinaire personnage de fiction. Racontée par elle, avec toute sa passion, avec toute son émotivité, l’affaire prenait un tout autre relief. Ce n’était plus l’histoire du Mediator, mais le combat de cette femme hors du commun", indique la cinéaste.
1976 : les laboratoires Servier commercialisent le Mediator, un antidiabétique.
1997 : la revue Prescrire est la première à critiquer l'efficacité du médicament et à s'interroger sur les risques cardiovasculaires.
2007 : Irène Frachon, pneumologue, alerte les autorités sanitaires des risques de problèmes cardiaques, liés à la prise du Mediator.
2009 : l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) retire le médicament. 300 000 personnes sont alors traitées par le Mediator. 7 millions de boîtes ont été vendues depuis sa commercialisation représentant un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros.
Mai 2010 : Irène Frachon publie Mediator, 150 mg : combien de morts ? Le scandale éclate quelques mois plus tard.
Novembre 2010 : le chiffre de 500 morts est confirmé officiellement par la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM).
2012-2013 : procès de Jacques Servier
2013 : mise en examen de l’Agence du Médicament.
Durant la préparation de La Fille de Brest, Emmanuelle Bercot et sa scénariste Séverine Bosschem ont rencontré les différents protagonistes de l'affaire du Mediator, que ce soit à Brest ou Paris. Pendant des heures, elles ont écouté et enregistré Irène Frachon raconter son histoire. Au final, la première moitié du film se base sur le livre et l'autre moitié sur le récit direct de la pneumologue. Elles ont aussi rencontré d'autres personnes importantes dans la révélation du scandale, notamment l'épidémiologiste Gustave Roussy , « la taupe » de la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie), Anne Jouan ou le député Gérard Bapt.
"Pendant plus d’un an, Séverine Bosschem a travaillé de son côté. Elle a compilé les tonnes de documents qu’Irène lui avait confiés et a fini par parfaitement maîtriser l’aspect technique de l’histoire.
Ensuite, mais cette fois ensemble, nous avons défini les grandes lignes de la narration. Au total, l’écriture du film a duré environ trois ans : j’intervenais à chaque étape de manière à redéfinir la construction, circonscrire le récit, développer les différents personnages. Tout ça en faisant mes films à côté. Enfin, quelques mois avant le tournage, j’ai réécrit le scénario pour me l’approprier", explique Bercot.
Emmanuelle Bercot ne voyait aucune actrice française dans le rôle d'Irène Frachon durant les 3 années d'écriture du film. C'est Catherine Deneuve qui a débloqué la situation après le tournage de La Tête haute en parlant de l'actrice danoise qui jouait dans Borgen, Sidse Babett Knudsen, qui sait parler français. La cinéaste s'est donc rendue à Copenhague pour voir la comédienne : "La rencontre s’est très bien passée. Sidse a lu le scénario qui, à l’époque, était encore un work in progress. Et, très vite, elle a accepté. Très franchement, si Catherine Deneuve n’avait pas eu cette idée, je pense que personne n’aurait pensé à Sidse pour ce rôle", relate la réalisatrice. À noter que toute la famille Frachon est fan de Borgen ; Irène était donc ravie que Knudsen interprète son rôle à l'écran.
Irène Frachon est protestante, aspect qui constitue une part importante de sa personnalité ; Emmanuelle Bercot a tout de même préféré ne pas mentionner cela dans le film : "Ça n’aurait eu de sens que si ça n’était pas anecdotique, et on n’a pas le temps de tout raconter en deux heures ! Et puis, je voulais rendre cette histoire la plus universelle possible et du même coup ne pas trop singulariser Irène. Je précise d’ailleurs qu’elle n’a jamais exprimé le souhait de voir son appartenance religieuse mentionnée. Mais elle a bien voulu prêter sa croix huguenote à Sidse pour qu’elle la porte pendant tout le tournage. Cet aspect du personnage n’est donc pas totalement absent", explique la cinéaste.
Emmanuelle Bercot a très longtemps voulu devenir chirurgien, son père étant chirurgien cardiaque à l’hôpital Lariboisière, à Paris : "Mes loisirs préférés du mercredi, du samedi, c’était d’aller voir mon père opérer. Dès l’âge de 10-12 ans, j’ai passé beaucoup de temps dans les blocs opératoires. J’ai fait mon stage de 3e à Lariboisière, dans plusieurs services de chirurgie. J’ai toujours eu une fascination pour le milieu hospitalier. J’aime aller à l’hôpital. Je m’y sens bien. Je pense qu’Irène Frachon a été sensible à ça", raconte la réalisatrice.
Deux scènes particulièrement compliquées sont en quelque sorte le clou du film, une séquence d'opération à coeur ouvert et une d'autopsie. Pour réaliser ces séquences, Emmanuelle Bercot a réquisitionné une vraie équipe de chirurgie du CHU de Brest (chirurgien, anesthésiste, panseuse...) Tout est vrai dans ces scènes à l'exception de l'intérieur des corps où l'équipe a eu recours aux effets spéciaux. Bercot a également assisté à une vraie opération et une vraie autopsie afin de s'imprégner des méthodes : "Il était essentiel de voir les ravages organiques, physiques, causés par le Mediator. De manière à ce que le spectateur puisse visualiser et ressentir ce que ce médicament a provoqué dans la chair de certaines personnes. Mais de toute façon, je tends toujours à faire un cinéma le plus incarné possible. Même si je sais très bien que certaines personnes voudront se cacher les yeux, je voulais, encore une fois, que le spectateur puisse éprouver physiquement les choses. Et Dieu sait si, au montage, on a édulcoré par rapport à tout ce qui a été filmé !", indique la cinéaste.
Emmanuelle Bercot fait un parallèle entre le combat d'Irène Frachon et celui d'Erin Brockovich : "Pour moi, Erin Brockovich est le repère absolu. Dans le genre, c’est un film parfait. J’ai aussi vu ou revu des films comme Les Hommes du président, Norma Rae, Le Stratège, L’Idéaliste, Le Verdict", confie Bercot.
Emmanuelle Bercot a choisi de ne pas montrer à l'écran le tout-puissant patron des laboratoires Servier, Jacques Servier : "Irène Frachon ne s’est jamais rendue au laboratoire Servier. Elle n’a jamais rencontré Jacques Servier. Alors, évidemment, j’aurais pu tout de même montrer le «méchant» comme cela se fait souvent dans ce genre de film d’affrontement. J’ai un peu hésité mais finalement s’est imposé le fait qu’on allait raconter l’histoire uniquement du point de vue d’Irène. Et, qu’en conséquence, on ne verrait rien qu’elle n’a pas vu", explique la réalisatrice.