Martin Provost renoue avec le biopic (mise en scène subtile, technique irréprochable). Il s'agit à nouveau d'une personnalité atypique, après "Séraphine" en 2008 (vie de Séraphine Louis, dite "Séraphine de Senlis", peintre "primitif du 20 ème siècle") : Violette Leduc, écrivain longtemps sans lecteurs, puisqu'elle devra attendre "La Bâtarde" (1964) - elle a alors 57 ans - pour connaître le succès. Moins visuel évidemment que "Séraphine", où il était question de peinture (et des extases lui donnant le jour), ce "Violette" réussit cependant à rendre esthétiquement intelligible le travail fiévreux de l'écrivain. Belle performance ! Violette Leduc, dévorée de honte à cause de sa naissance illégitime, dévorée d'amour pour une mère indifférente, Berthe (Catherine Hiegel), dévorée de passion(s), interdites (saphiques) ou impossibles (quand elle s'éprend à plusieurs reprises d'homosexuels), plus tard par la maladie (point non traité par le film, déjà plutôt long - presque 2 heures 20 - mais sans temps mort) n'avait qu'une source d'inspiration, elle-même et sa vie chaotique. Si Séraphine était totalement autodidacte (humble servante sans instruction), Violette est allée jusqu'au bac (milieu des années 20), qu'elle rate cependant. Il y a pourtant des points communs dans le caractère et la personnalité des deux femmes, la première mourant folle dans un asile en 1942, quand la seconde commence à écrire (ses souvenirs d'enfance) à la même époque, tout en survivant (ce qu'elle fera encore un moment après guerre) grâce au marché noir. Et la répétition des motifs décoratifs du peintre, l'explosion de couleurs improbables, trouvent leur pendant dans le style flamboyant et unique de l'écrivain. Déjà familière de certains milieux intellectuels, c'est sa rencontre avec Beauvoir qui sera décisive, objet d'une passion à sens unique, mais aussi mentor et même mécène discret.
"Violette", c'est Emmanuelle Devos, qui l'incarne avec une grande maîtrise, la montrant à nu, toute d'impétuosité, de violence même, de souffrance, écorchée, pantelante, adorante et "maudite". Attachante, imprévisible, et fragile. D'une belle laideur, au physique. Fascinante d'intelligence et de sensualité inconsciente, éclatant à chaque page de ce qu'elle écrit. Sandrine Kiberlain réussit pour sa part à donner chair et vie de manière convaincante à Beauvoir. Ce nouveau portrait d'artiste hors du commun est porté magnifiquement par ces deux actrices au meilleur de leur art (comme "Séraphine" l'avait été par Yolande Moreau). On regrettera seulement une ou deux maladresses pour des petits rôles (un Bonnaffé incolore en Genet), voire tout petits (un Jouvet ridicule, lors d'une répétition des "Bonnes").