Le chef d’oeuvre incontestable d’Alain Corneau, et accessoirement un film qui a durablement contribué à revaloriser une musique et un instrument, la viole, passablement tombés dans l’oubli. Tout ici touche à la perfection. Une incroyable beauté visuelle, puisée à la palette des plus grands peintres du 17è siècle. Clairs-obscurs à la La Tour, visages et regards brûlants d’intensité à la Rembrandt, naturalisme et rusticité à la Le Nain... Jordi Savall, Montserrat Figueras et leurs amis donnent le pendant sonore à cette magnificence, interprétant avec autant de science que de sensibilité cette musique d'une beauté envoûtante. Bien installés dans cet écrin de luxe, les comédiens peuvent donner leur pleine mesure. Anne Brochet, lumineuse; Guillaume et Gérard Depardieu, parfaits, le père d’une finesse d’interprétation qu’on ne lui trouvera pas toujours en ces années 90, où il sera mis à toutes les sauces; Jean-Claude Dreyfus même, pour une apparition remarquable. Et, les dominant tous de sa haute taille et de son regard sévère, Jean-Pierre Marielle, qui EST M. de Sainte-Colombe, musicien janséniste dévoré de douleur après la mort de sa femme, misanthrope, intransigeant et si touchant dans sa rugueuse sensibilité. Quelle incarnation saisissante! Auteur, scénariste et dialoguiste, Pascal Quignard se laisse parfois aller à quelques facilités, mais signe une magnifique défense et illustration de la musique, de la vraie, celle qui nourrit l'esprit et le coeur. C’est intelligent, profond, limpide, sérieux au meilleur sens du terme, et respectueux du public. C’était il y a vingt ans, autant dire hier. Quand on voit ce que le cinéma français était encore capable de produire, et qu’on compare avec les films d’aujourd’hui, même les meilleurs (ou les moins mauvais), on mesure la profondeur et la rapidité du déclin. On n’en saluera qu’avec plus de respect et d’admiration les artistes qui ont rendu possible "Tous les matins du monde".