En 1922, le grand écrivain russe, Ossip Mandestam, disparu en 1938, déporté en Sibérie, écrivait : « Mon siècle, ma bête, qui saura plonger dans tes pupilles ? ». De cette question Nathalie Nambot fait son départ. Cela ne se voit pas d’entrée, mais se confirme au fur et à mesure, aussi lentement que la respiration d’un survivant, son film est une longue dédicace à la lucidité insoumise. Celle d’hier (hier ?) de l’ère stalinienne, jusqu’à la Russie d’aujourd’hui (d’aujourd’hui ?). Enregistrer l’immobilisme, lui opposer le rythme des soulèvements, c’est-à-dire mélanger les temporalités, celle de l’impitoyable permanence de l’horreur, celle du coupant des vers et des cris, c’est son projet. Ambitieux, on l’aura saisi. Et donc modeste, car pour remuer le temps il y faut, sauf à s’égarer dans les bons sentiments, des complicités incarnées. Mandelstam. Nadejda, son épouse, qui, appri par coeur, sauva ses textes de l’oubli. Anna Akhmatova, l’amie. Tous sont témoins, au présent : entendus, redits, offerts à la lecture, vivants à arpenter l’espace de la ville, d’un paysage. Tous, à dire, ce que vous voyez n’est pas l’unique propriété des vainqueurs. Avec eux, le maintenant : évocation du carnage de l’assaut du théâtre de la Doubrovka en octobre 2002, parole publique de Stanislav Markelov, avocat assassiné en pleine rue en janvier 2009.
Nicolas Féodoroff & Jean-Pierre Rehm