Œuvre complexe à aborder, autant dans son traitement que dans son approche formelle, "La Source" reste néanmoins d'une beauté et d'une force saisissante. Bergman décide de faire de son long-métrage une représentation subjective de la foi, du Sacré, et donc, impérativement, du Mal.
Ainsi, l'austérité de la mise en scène, qui peut rebuter dans un premier temps, se révèle être l'aspect autour duquel toute l'esthétique, et les thématiques, vont tourner : celui du point de vue. Les plans durent, paraissent parfois interminables comme la scène de viol, jusqu'à épouser pleinement la vision des personnages, leurs choix, leurs questionnements. Bergman, qui pourrait sembler mettre une distance froide et sadique entre le spectateur et ses personnages, fait en réalité tout le contraire, faisant le choix d'une proximité qui, si peut-être insoutenable, est nécessaire pour comprendre ce qui se joue autour d'eux et en eux.
Ils interagiront sous le regard d'un christianisme, étouffant et omniprésent, qui guidera leurs actions de manière inconsciente, chacun voyant ses torts, au choix, comme une sentence divine ou une manipulation démoniaque. De plus, Bergman se sert de symboles forts - la croix, la vierge, l'enfant dans la paille etc - pour mieux les utiliser et les détourner, à l'image du repas, où la figure du "Judas" est complètement renversé.
Puis, et c'est peut-être là que "La Source" est indispensable, vient la fin, qui arrive comme une délivrance. La retenue dont à fait preuve tout le film se délite, la subjectivité imposée jusque là comme un poids devient alors celle de l'émotion. Tout se libère, entre remise en cause du Divin, puis finalement son acceptation comme justification futile à leurs actions, ces derniers instants sont gagnés par un revirement émotionnel d'autant plus fort qu'il n'était précédemment que sous-jacent et cathartique, comme la mort des trois frères, libératrice narrativement, mais condamnable moralement. C'est bien cette émotion finale, qui rend le chemin parcouru par "La Source" aussi sublime.
Long-métrage à la mise en scène exigeante, il n'en reste pas moins sublime dans l'approche que cette dernière donne de la subjectivité. Si Bergman se joue des figures et des croyances, il met surtout en scène des personnages pour qui, au même titre que le spectateur d'ailleurs, des événements dirigés par l'envie et la colère, laisse place au Divin et au Malin.