Elena" [2012], le troisième long métrage d'Andrei ZVIAGUINTSEV est une oeuvre d'une force inouïe : un conte implacable magistralement mis-en-scène. Portrait universel de la férocité glacée d'une société sans espoir. Individualisme régnant, bêtise crasse, absence de sens moral... Et près tout, "Ainsi soit-il." Un film de moraliste qui annonce son "Faute d'amour" de 2017. Un procès habile du matérialisme, de la "pensée pratique" et de la sinistre bondieuserie de façade qui "occupent le terrain" de nos sociétés, faute de mieux à offrir... C'est qu'elle a l'air sympa, la jeune grand-mère Elena ! Elle ne lui veut pas de mal, à son nouveau mari Vladimir : c'est une ancienne infirmière, alors elle le sert - en bien soumise épouse et bonniche (dans une société russe de "gens ordinaires" apparaissant toujours - avec finesse chez Zviaguintsev - comme banalement patriarcale et assez ridicule). C'est-à-dire aussi que Vladimir a tout ce fric que la famille d'Elena n'a pas et n'aurait jamais... Lorsqu'Elena comprend que Vladimir, son homme qui vient de faire un infarctus, ne va pas aider le moins du monde son feignant de fils à elle (père d'un autre feignant), elle commettra l'irréparable. Sans trop de remords, d'ailleurs. Elle saute tranquillement le pas. Elle ira même brûler un cierge devant les icônes de l'Eglise. C'est le règne de l'absurde selon Albert Camus... "Le crime sans le châtiment" (comme l'a écrit finement un critique). Le long plan aux oiseaux qui ouvre le film peut être décourageant, mais il signifie ceci : un clou chasse l'autre, et la famille de feignants alcoolos ne rêvait, au fond, que d'investir le superbe appart' du "riche"... Pour faire quoi de cela ? Rien... Consommer de la bière ou siffler leur stupide vodka, bouffer des chips. Regarder des émissions de téléréalité crétinisantes (pléonasme), s'emm...rder comme des rats morts et s'engueuler à vide sans jamais se poser la moindre question existentielle. Au bas de l'immeuble, le petit-fils chéri d'Elena qui voulait éviter le Service national en Tchétchénie (en soudoyant je ne sais quel pourri - grâce au pognon extorqué au "riche" - pour ne pas avoir à "y aller") se fait tabasser lors d'une expédition punitive entre bande de crétins nodocéphales... Sous le ciel gris, une sorte de centrale nucléaire apparaît comme une apocalypse perpétuelle entre les arbres. Le "châtiment" d'Elena ne serait-il pas de devoir vivre dorénavant en cohabitation avec ces "débiles" sans conscience, qui sont la chair de sa chair ? Film d'un pessimisme total sur notre humaine. Pas de rédemption possible. Pas la peine de chercher un StopCretins.com planétaire... puisque tels des Aliens proliférants, "ils" sont déjà devenus trop nombreux... Sauf qu'Andrei Zviaguintsev est là - qui s'en fout bien, de vexer le Gros public que soigne Poutine : vous avez un fin diagnostic, Docteur Zviaguintsev ! Et votre regard impitoyable est celui d'un poète. Vos interprètes au jeu jamais appuyé : Nadezhda Markina (Elena), Andrei Smirnov (Vladimir), Elena Lyadova (Katerina, fille de Vladimir), Alexey Rozin (Sergeï, fils d'Elena)... Ah, comme l'on a un peu honte - par comparaison - pour tous "nos" comédiens et comédiennes français (surinterprétant à peu près tout, pour être sûrs de bien se mettre le spectateurs dans la poche !) Votre sens du cadrage est une merveille. Votre utilisation des silences ou de la musique de Philip Glass : époustouflante. Alors, on aime votre cinéma qui nous lave le regard. Vraiment. Durablement. Même avec un plan d'introduction intégrant écorce de bouleau et chassé-croisé d'oiseaux sur fond de loggia, qui dure une minute quarante...