Avec "Elena", Andreï Zviaguintsev nous livre une relecture sommaire de Crime et Châtiment dans un contexte contemporain et socialement contrasté. Vladimir (Andreï Smirnov), un vieil homme riche, vit dans une résidence moscovite cossue avec Elena (Nadezhda Markina, excellente), à la fois compagne et boniche. Alors qu'il ne peut rien refuser à sa fille dont la gratitude et le sens de la famille ne sont pas forcément les qualités premières, Vladimir s'oppose fermement à l'idée d'aider financièrement la famille du fils d'Elena installée dans un blême HLM de banlieue avec vue sur centrale nucléaire.
Autour de Vladimir et d'Elena, on trouve des personnages secondaires dostoïevskiens en diable : le nihiliste débauché (Katia, la fille de Vladimir, extrêmement intéressée par l'argent paternel) et l'indigent irresponsable (Sergueï, le fils d'Elena, chômeur désœuvré et bon à rien [et non, ça ne va pas forcément ensemble !]). Dommage que le film ne s'attarde pas un peu plus sur eux. La question que posait le roman était : peut-on commettre un meurtre et, surtout, l'accepter moralement s'il en découle une amélioration de sa condition ? La Russie a connu bien des changements depuis Dostoïevski et là où le romancier apportait une réponse négative, le cinéaste observe Elena et sa descendance jouir avec insouciance de leur nouvelle richesse dans la dernière scène. Avec cette peinture très noire de l'âme humaine, "Elena" nous montre une lutte des classes moderne dans laquelle il n'y aurait pas de vainqueur possible (en tout cas, pas du point de vue moral). A part un, peut-être. En effet, outre Elena, il y a un autre personnage qui fait le lien entre ces deux mondes diamétralement opposés : la télévision. Qu'on soit chez les prolos ou chez les bourges, on regarde les mêmes matches de foot et les mêmes bouses de télé-réalité. Bon, à part ça, le style est superbe mais demande qu'on s'accroche un peu : le long plan fixe qui ouvre le film a réussi à déclencher des ronflements dans la salle au bout d'une minute (véridique !), record du monde battu ! Le thème musical composé par Philip Glass est aussi assez envoûtant. Un cinéma sombre et exigeant mais qui vaut largement le coup.