Placide et cynique, terrible et joyeux, ce film russe d'Andrei Zviaguintsev est à la fois un témoignage sur la Russie d'aujourd'hui, et la chronique d'un amour maternel extrême, à la limite: dévoyé.
Couple recomposé de sexagénaires, Vladimir (Andrei Smirnov) et Elèna (Nadezhda Markina) habitent un magnifique appartement, dans un immeuble très bourgeois. Ils se sont rencontrés quand Vladimir était patient et Elèna, infirmière. Ils se sont probablement aimés. Mais leurs parcours antérieurs étaient bien différents. Vladimir est, manifestement, un "nouveau Russe" (grosse berline, club de sport luxueux....), Elèna vient d'un milieu modeste. Vladimir a une fille, Katerina, une chipie gâtée qui ne fait rien -sauf la vie, avec l'argent de Papa. Ils ne se voient d'ailleurs jamais: Katerina est toujours occupée ailleurs. Elèna a un fils, Serguei, une espèce de chiffe molle dont la seule activité est de traîner devant un jeu video, une bière à la main, et de compter sur la pension de Maman. Et voilà qu'il faut de l'argent, beaucoup d'argent, pour éviter à Sascha, l'aîné des petit-fils, de partir au service militaire et lui permettre d'intégrer une université. En fait, Sascha est un voyou, dont le seul intérêt, à part les jeux video violents, est d'aller se castagner avec d'autres voyous, et il y a peu de chance qu'il puisse intégrer la moindre université.... . Les deux familles s'ignorent: Elèna reproche à Katerina de négliger son père, qui en souffre. Et Vladimir n'a aucune intention de fréquenter la tribu de prolos minables. Mais Elèna aime passionnément cette famille, qu'elle va voir chaque semaine, dans une banlieue pourrie, elle veut tout pour eux. Pour Sascha, elle demande à son compagnon un prêt. Il a déja prêté à la chiffe molle, sans retour. Il n'est pas convaincu.
Vladimir fait un petit infarctus après un entrainement sportif excessif. De retour au foyer, il fait part à sa compagne de sa décision de rédiger un testament: Elèna aura une pension confortable, mais tout le reste ira à sa fille. Quant au prêt, il n'en plus question. Il suffirait, alors, que Vladimir prenne un de ces Viagras qu'il a toujours dans sa table de nuit, en même temps que ses médicaments pour le coeur, le mélange étant totalement interdit, avant la visite du notaire, pour qu'il n'y ait pas de testament, que les biens soient partagés entre la fille et l'épouse, et que la grosse somme d'argent liquide toujours présente dans le coffre fort de la maison, soit disponible....
D'une certaine façon, il y a un égal rejet, de la part du réalisateur, des deux descendants. On peut penser que le couple a beaucoup travaillé, elle pendant sa vie d'infirmière, lui pour faire fortune. Ni Katerina, ni Serguei ne méritent d'hériter. Ils représentent deux tristes faces de la jeune génération: la fille d'apparatchik égoïste et inutile; et le paresseux, sans avenir et sans projet.
La bande son est magnifique. Il y a de longs passages, très lents, lorsque le vieux couple se prépare le matin, par exemple, où les bruits du quotidien, magnifiés, créent l'ambiance. Ainsi pendant le prologue (mais regardez le bien: il trouvera son sens à l'épilogue), on se demande, c'est t-y pas que la bande est coincée des fois? Mais non: entendez le Krouac Krouac d'un corbeau qui se rapproche.... Quant à la musique, magnifique, signée Philip Glass, elle porte le film.
Film passionnant donc. A voir absoluement tant que c'est encore possible.