Le personnage de la prostituée a toujours intéressé le réalisateur. Selon ce dernier, "il y a quelque chose de profondément mystérieux et c’est pour ça que c’est un personnage de fiction récurrent de l’histoire de l’art." Notons que le premier film qui met en scène une prostituée comme personnage date de 1900, autrement dit très peu de temps après l'invention du cinéma.
L'Apollonide - souvenirs de la maison close a été présenté en compétition au Festival de Cannes 2011.
La sexualité est un des thèmes de prédilection de Bertrand Bonello, l'ayant déjà abordé dans Le Pornographe et Tiresia.
L'âge d'or des maisons closes se situe sous la IIIe République, comme en témoigne le Guide rose, qui les recensait chaque année : l'édition 1936, vendue sous le manteau, fait état de 700 adresses. L'Etat, et notamment le fisc, profitait de ce commerce en prélevant 50 à 60 pour cent sur les bénéfices. Tout au long du XIXe siècle, les préfets délivraient des "certificats de tolérance" aux tenancières de ces maisons. Les maisons closes prennent alors le nom de "maison de tolérance". Les maisons furent fermées le 13 avril 1946.
Bertrand Bonello a trouvé son inspiration dans les films de David Cronenberg qui, selon lui, posent une question des plus essentielles : "comment le rapport au corps va affecter l’esprit ?"
Bertrand Bonello revient sur la genèse du projet : "Il y a dix ans, je voulais faire un film sur la réouverture des maisons closes aujourd’hui. Puis je l’ai abandonné. Après De la guerre, mon dernier film, j’ai eu très envie de faire un film avec un groupe de filles, sur le collectif. C’est ma compagne et chef opératrice (Josée Deshaies) qui m’a suggéré de reprendre l’idée des maisons closes, mais traitée de manière historique."
Le cinéma de Bertrand Bonello peut parfois s’avérer déroutant, mais ici, contrairement au Pornographe - les scènes de sexe non simulées - et à Tiresia - la séquence d'énucléation du transsexuel - on reste dans le "soutenable", comme l'explique le réalisateur : "Je suis allé vers des séquences de chambre théâtrales et fétichistes. Presque du côté de Buñuel. Il y a très peu de nudité parce que c’est assez véridique, elles avaient des culottes extrêmement fendues. Les hommes non plus ne se déshabillaient pas. Donc on voit plus les fantasmes que les hommes essayent d’incarner. Ces fantasmes parlent autant du sexe que de les voir s’agiter en acte simulé devant la caméra. Ça passe parfois par un regard pervers mais il y a aussi le jeu, la baignoire de champagne par exemple."
La maison close est un lieu de travail mais aussi de vie. Il était important pour le réalisateur de rappeler l'étrangeté de l'endroit au spectateur : "J’ai essayé de séparer le lieu en trois parties : les salons, les chambres et ce que j’appelle la cuisine. Je voulais garder cet équilibre et ne pas avoir de priorités. On a réussi à tourner dans un décor unique. Dans un même plan on passe des combles où elles dorment à un couloir de chambre beaucoup plus luxueux où elles travaillent. Je voulais montrer que ça cohabitait, qu’à une porte près, elles revêtent une simple chemise de nuit ou alors des costumes splendides avec des bijoux de pacotille qui font rêver. C’est un film de contraste", nous renseigne Bertrand Bonello.
Bertrand Bonello revient sur la structure narrative du film : "La première partie et la troisième partie agissent un peu en miroir. Au contraire, la partie centrale est quasiment une chronique. Le film avance un peu comme une ronde, c’est un film de raccord, d’enchaînement, une idée qui arrive à la fin d’une scène et fait démarrer la suivante. Les filles se passent des relais d’histoires, et c’est comme ça qu’on tourne. Et puis, parfois, on revient un peu en arrière pour enrichir et donner un autre point de vue", explique-t-il.
La maison close peut-être vue comme une métaphore du monde du cinéma : "On peut dire que le personnage incarné par Noémie Lvovsky, c’est moi, metteur en scène de cette maison, elle fabrique son décor, elle demande de l’aide au préfet comme moi je demande de l’argent au CNC… Le client, c’est peut-être le spectateur…", affirme Bertrand Bonello.
Dans L' Apollonide - souvenirs de la maison close, de nombreux acteurs sont aussi des réalisateurs. Parmi eux, on peut citer Noémie Lvovsky, Xavier Beauvois et Jacques Nolot.
Bertrand Bonello évoque le casting du film : "Ça a été long. Presque neuf mois. Il fallait d’abord trouver des filles qui avaient une forme de modernité pour ne pas accentuer le côté reconstitution, tout en pouvant voyager dans le temps, en 1900. Je tenais à un mélange, d’actrices et de non actrices. Et en même temps, ce mélange et cette diversité devaient aboutir à une cohérence de groupe", explique le réalisateur, en poursuivant : "Il fallait que les filles fonctionnent ensemble, en synergie. J’étais beaucoup plus obsédé par l’idée de former un groupe que par avoir un premier rôle. C’était très important pour moi que ce ne soit pas un film choral, avec des personnages et des figurants. Je voulais traiter de la même manière les six rôles principaux et les autres. J’ai mis autant de soin à les choisir, et à les diriger", termine-t-il.
Jasmine Trinca est l'une des jeunes actrices italiennes les plus connues. Elle a débuté au cinéma en 2001 sous la direction de Nanni Moretti dans La Chambre du fils (Palme d'Or 2001). Elle figure également dans Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana ou encore dans les films de Michele Placido, Romanzo criminale et Le Rêve italien, pour lequel l'actrice a obtenu le Prix d’Interprétation à la Mostra de Venise de 2009.
Céline Sallette, jeune actrice française, est au générique de deux films en septembre : L' Apollonide - souvenirs de la maison close et Un été brûlant de Philippe Garrel.
Hafsia Herzi a monté les marches cannoises par deux fois en 2011. Outre L' Apollonide - souvenirs de la maison close, elle est venue présenter La Source des femmes.
Le film se déroule en 1900. Par ce choix de date, Bertrand Bonello a voulu montrer un monde qui change : "Il s’agissait de montrer comment, sans sortir à l’extérieur, Paris, la France ou le monde va changer. On comprend très vite que la maison va fermer. Donc on ne fait qu’assister à la dégradation des choses et des filles qui s’abiment."
Dans une séquence du film, les filles sont obligées d’écarter leurs cuisses, non pas pour être payées mais pour être inspectées par le médecin. Bertrand Bonello déclare au sujet de cette scène : "Cette séquence est très cruelle. L’homme qui joue le médecin est un vrai gynécologue, quand il a commencé à dire son texte de manière médicale, ça m’a glacé. Et puis les filles attendent, elles ont peur : être enceinte ou pas, être malade ou pas. J’avais envie d’en faire une séquence de terreur. On voit peu le médecin, on voit surtout les visages des filles qui attendent leur tour pour le verdict", confie-t-il.
A l'époque, les prostituées allaient à la campagne une fois par mois avec la mère maquerelle. Une des scènes du film montre cette habitude. Selon Bertrand Bonello, il était important "de faire sortir le spectateur pour mieux lui faire sentir la prison quand on revient dans la maison close".
Lors de certaines scènes, une musique contemporaine vient habiller le film. Bertrand Bonello justifie son choix : "Avec le film d’époque, ce qui me fait peur c’est la reconstitution. Quand j’écrivais, j’écoutais cette soul music des années 60 et l’âme de ces voix de chanteurs Noirs Américains me ramenait à ces filles. Quand l’une d’elle meurt, elles entonnent autour d’elle un chant d’esclaves. On n’est pas obligé de mettre un quatuor à cordes parce qu’on est en 1900. Ça n’était pas juste pour dépoussiérer, ces femmes m’évoquaient cette musique, peut-être le rapport à l’esclavagisme."
Bertrand Bonello a travaillé avec la costumière Anaïs Romand, spécialiste de cette époque. Comme le budget du film était réduit, elle a privilégié les dessous et les corsets. Elle a également fait broder chaque corset sur mesure.
L' Apollonide - souvenirs de la maison close est le premier film d'Alice Barnole et Iliana Zabeth.
Esther Garrel est la fille de Philippe Garrel et la soeur du très à la mode Louis Garrel.