Second long métrage de l'actrice-réalisatrice Valérie Donzelli, La Guerre est déclarée a été projeté en ouverture de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2011. Le film a aussi remporté le Prix du jury, le Prix du public et le Prix des blogueurs au Festival Paris Cinéma 2011.
Également à l'affiche du film de clôture de la Semaine de la Critique, Pourquoi tu pleures ? aux côtés de Benjamin Biolay, Valérie Donzelli a pensé à faire un détour par la Quinzaine de ce Festival de Cannes 2011, grâce au long métrage En ville.
Il y a quelques années, Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm ont eu un enfant qui est tombé gravement malade. La Guerre est déclarée s’inspire de cette expérience douloureuse. "La Reine des pommes est un film qui parle d’une rupture et que j’ai fait à un moment où je me sentais déprimée. La Guerre est déclarée participe du même processus : utiliser quelque chose que j’ai vécu de manière triste pour en faire quelque chose de positif. Le film est resté en gestation longtemps au fond de moi et à un moment donné, j’ai compris que c’était le moment de le faire", confie la réalisatrice.
La Guerre est déclarée est un film très difficile à décrire, même pour sa réalisatrice : "Je ne pense pas que ce soit une comédie dramatique, ni un drame ou un mélodrame. Avec le recul, on se dit avec Jérémie Elkaïm que c’est juste un film physique, intense, vivant."
Jérémie Elkaïm décrit le processus d'écriture du scénario : "Valérie tenait un journal pendant que nous vivions le combat contre la maladie de notre fils. Il n’est pas donné à tout le monde de vivre des aventures aussi intenses que celle-ci. Les questions de vie et de mort nous poussent à nous révéler héroïques, meilleurs. Nous à l’époque, on l’avait presque vécu comme une chance, un travail. De cette grosse matière informe qu’était le journal, on a essayé de tirer une structure, un peu comme si on voulait adapter au cinéma un livre de correspondances. L’enjeu était de réussir à se décoller des faits, à amener de la fiction. Cela a été rendu possible car toujours on avait cet objectif : se débarrasser du mauvais pour partager le bon."
Trois narrateurs se succèdent durant le film, un homme et deux femmes. Le premier, c’est Philippe Barrassat, le narrateur de La Reine des pommes. La seconde narratrice, c’est Pauline Gaillard, la monteuse et la troisième, c’est Valentine Catzéflis, qui avait un petit rôle dans le film, mais dont la scène a été coupée au montage.
Jérémie Elkaïm raconte le tournage du film : "On était moins de dix sur le plateau, ça force tout le monde à être polyvalent. On avait inventé le concept de techniciens "couteau suisse", dont les différentes lames remplissent plein de fonctions différentes. Être dix sur un plateau, ce n’est pas la même énergie que lorsqu’on est cinquante. Ça autorise tout le monde à dire plus de choses, on est tous dirigé vers le même objectif, ça ne donne pas les mêmes films. On se met presque plus à former une famille qu’à être des professionnels réunis pour faire un film."
Ancien couple à la ville, Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm se croisent souvent sur les plateaux de tournage. En plus de la La Reine des pommes et de La Guerre est déclarée, tous deux réalisés par Valérie Donzelli, le duo est aussi présent au générique de Belleville Tokyo.
Valérie Donzelli explique le casting du couple : "Juliette, je n’avais aucune envie de l’incarner au départ car elle était personnellement très proche de moi, et surtout, c’était un rôle très émotionnel. J’avais peur d’être mauvaise, et impudique. En revanche, je n’avais aucun doute pour Jérémie car même si lui aussi était très proche de son personnage, il allait être dirigé par moi et c’est un acteur que j’adore. Mais qui mettre en face de lui ? C’était compliqué. A un moment je me suis dit : "Alors ni lui non plus", mais comme je n’arrivais pas à donner ce couple à jouer à d’autres, je me suis finalement dit : "C’est plus simple, je vais jouer Juliette."
Au départ, Valérie Donzelli imaginait prendre l’enfant d’amis pour interpréter Adam, mais elle s'est rendue compte que c’était compliqué. Du coup elle a fait appel à une agence de casting. "On a fait un casting. Quand j’ai rencontré César Desseix, qui joue Adam, ça a été l’évidence. Ses parents ont été très aidants, ils nous ont fait une confiance totale. Ils ne voulaient pas faire jouer leur enfant à la base, mais quand la mère de César a accouché, elle a fait des photos de son enfant et comme elle s’ennuyait, elle a créé un blog pour les y mettre. Du coup, beaucoup d’agences de pub et de casting les ont contactés, mais ils avaient toujours refusé, jusqu’au jour où Karen Hottois, ma directrice de casting les a appelés et leur a raconté l’histoire de La Guerre est déclarée", confie la réalisatrice.
Béatrice de Staël, déjà présente dans La Reine des pommes, est "l'idole absolue" de Valérie Donzelli. Selon elle, elle est entre autres "une grande actrice burlesque".
La Guerre est déclarée a été tournée à l'aide d'un appareil photo, comme l'explique Valérie Donzelli : "Un appareil photo qui filme, c’est dément parce que personne ne peut soupçonner qu’on fait un film… La mise en scène a été pensée de manière à obtenir le meilleur potentiel de cet appareil. Par exemple, le point étant difficile à faire, alors que j’imaginais au départ un film à l’épaule, on a beaucoup plus découpé et filmé sur pied. Les seuls plans tournés en 35 mm, ce sont les plans de fin, car ils sont au ralenti, et je voulais de beaux ralentis, ce qui est plus difficile à faire avec l’appareil photo".
Dans une des scènes de La Guerre est déclarée, Roméo et Juliette se déclarent leur amour en chanson. Selon Valérie Donzelli, "a ce moment-là, la force de ce couple est de se dire à quel point ils s’aiment". Notons que ce procédé avait déjà été utilisé par la réalisatrice dans La Reine des pommes.
Le film étant un vrai mélange des genres, le montage a été très compliqué."On était face à une matière un peu indomptable. C’était une question d’instinct et de dosage subtil, un peu comme de la dentelle. Très vite, une scène ou un plan pouvait tout déséquilibrer", déclare Valérie Donzelli. Comme pour La Reine des pommes, le montage a été supervisé par Pauline Gaillard.
Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm se sont occupés de la musique du film. Ils se sont beaucoup inspirés de leur environnement sonore. "La musique du générique de Radioscopie de Jacques Chancel, composée par Georges Delerue, tout le monde la connaît. Antonio Vivaldi m’a aussi déclenché beaucoup d’envies", confie la réalisatrice.
La Guerre est déclarée a été tourné en son mono pour garder un côté réel. Au mixage, Valérie Donzelli a souhaité "ne pas trop nettoyer le son pour conserver le côté minimaliste du film".
Dans un souci de réalisme, une grande partie du film a été tournée en décors naturels, un choix justifié par Valérie Donzelli : "J’avais envie de faire un film très ancré dans la réalité, la vérité de ce qu’est l’hôpital, donc ne pas fabriquer de décors mais tourner dans les vrais hôpitaux. Plus généralement, aucun décor n’a été touché à part l’appartement en travaux et l’appartement de Juliette et Roméo au début. On a pris les lieux tels quels. J’adore l’idée de fabriquer avec le réel."
Dès le début du film, le spectateur sait qu'Adam va survivre, une volonté assumée par Valérie Donzelli : "Jouer sur le suspense de la guérison d’Adam, cela aurait été la prise d’otage absolue du spectateur. Dès le départ, je voulais qu’on sache qu’il va s’en sortir et qu’on s’interroge juste sur ce qui va se passer pour en arriver là. Encore une fois, c’est avant tout l’histoire du couple que le film raconte."
Alors que La Reine des pommes n'avait qu'un tout petit budget et une équipe technique très réduite, La Guerre est déclarée possède un vrai budget, un changement pour Valérie Donzelli : "On a travaillé de manière confortable mais ce n’était pas un gros budget, il y avait une cohérence entre la production et l’esprit du film. Ce qui est agréable, c’est que l’argent est toujours allé dans le film. L’essentiel est de réunir la bonne équipe."
Valérie Donzelli revient sur le casting des rôles secondaires : "Pour le personnel de l’hôpital, c’est un mélange d’acteurs et de vrais soignants, comme le docteur Kalifa, qui est un vrai médecin. J’avais aussi demandé au professeur Sainte-Rose de jouer son propre rôle mais il m’a dit : "Je suis très mauvais comédien." En revanche, il m’a prêté sa blouse, son bureau, sa secrétaire ! C’était compliqué de trouver l’acteur qui allait incarner Sainte-Rose. Et puis je me suis dit qu’il ne fallait pas coller à cette réalité et trouver quelqu’un de plus simple mais dont l’humanisme transparaîtrait. Frédéric Pierrot, Jérémie m’en avait parlé et puis je l’ai croisé à la médecine du travail, dans la salle d’attente du docteur Zucharelli ! Je trouvais qu’il avait une très belle voix. Pour tous ces rôles secondaires, je voulais de bons acteurs mais pas trop connus du grand public. Pour Fitoussi, l’idée d’Anne Le Ny est arrivée tout de suite car c’est une actrice que j’aime beaucoup."
Roméo, Juliette et Adam. Trois noms connus, pour trois personnages universels. Valérie Donzelli raconte pourquoi elle a choisi ces trois prénoms : "Au départ, on ne savait pas comment appeler les amoureux, je voulais juste qu’on puisse d’emblée les identifier comme un couple. Du coup, ils se rencontrent dans une fête, ils ont un coup de foudre, s’étonnent de s’appeler Roméo et Juliette, s’interrogent sur leur destin tragique ensemble… Pour Adam, c’est une autre histoire. Je voulais un prénom très universel. Adam c’est le premier homme, il y a une forme de magie. Et puis c’est un prénom très doux Adam, on ne se lasse pas de l’entendre. C’était important car dans le film, il est souvent prononcé."
Lorsque Roméo et Juliette lisent le journal à l’hôpital, on peut apercevoir ce titre : "Le pouvoir du rire." Valérie Donzelli nous explique pourquoi : "Le jour où on a tourné cette scène, je suis allée au kiosque de l’hôpital et j’ai cherché les unes qui me plaisaient le plus. Je n’ai pas choisi au hasard mais c’est un hasard s’il y avait ce titre à la une de "Aujourd’hui en France" ce jour-là."
Valérie Donzelli souhaitait mettre en scène un couple contemporain. "J’avais beaucoup de plaisir à ce que ce soit lui qui fasse le ménage et garde Adam pendant qu’elle va travailler. Ils sont en pleine construction, aspirent à un idéal mais sont obligés de faire des petits boulots alimentaires. Mon désir était d’être connectée à ma génération, de parler de ce que je connais, de ce que je vis", affirme-t-elle.
Un des thèmes principaux du film est celui de la destinée. Valérie Donzelli revient sur le sujet : "Pour moi la vie est une succession d’épreuves à surmonter, plus ou moins lourdes, plus ou moins malheureuses ou heureuses. Et peu à peu, on gravit la montagne. Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Adam est le fruit de l’amour entre Roméo et Juliette, pourquoi est-ce à lui qu’arrive cette maladie ? Quand Roméo pose la question à Juliette, elle lui répond : "Parce qu’on est capable de surmonter ça." L’épreuve prend alors presque une dimension mystique, ce n’est plus une question de malchance ou d’injustice."
Le cinéma de Valérie Donzelli pourrait s'apparenter à celui de la "Nouvelle Vague". Pourtant, la jeune réalisatrice se défend de toutes références pompeuses : "C’est vrai que je travaille de manière hyper personnelle. Nul doute que je fais des choses qui ont déjà été expérimentées par François Truffaut ou d’autres cinéastes que j’apprécie, c’est comme ça, on est nourri inconsciemment de tout ce qu’on a vu et qu’on aime, mais ce n’est pas de la référence, c’est juste que c’est nécessaire au film."
Outre La Guerre est déclarée, Valérie Donzelli est au générique de quatre autres films en 2011 : En ville, L' Art de séduire, Pourquoi tu pleures ? et Belleville Tokyo.