Michael Madsen est un documentariste danois. Ce cinéaste est souvent confondu avec un autre Michael Madsen, l'une des gueules du cinéma hollywoodien, avec qui il n'a de commun que le nom et prénom. Son premier long-métrage Himmelnattens kejser - en film om synlighed a été tourné au Japon. Il s'agit d'un documentaire-enquête autour de la légende présumée d'un homme aveugle qui aurait été empereur du royaume du Soleil Levant en l'an 900 après Jésus-Christ.
Michael Madsen a sa propre vision du documentaire qu'il définit comme suit: "Le documentaire m’intéresse s’il implique un ajout de «réel». (...) La réalité n’est pas pour moi une matière figée que l’on peut transformer en «document» pour servir un sujet. (...) Je suis surtout intéressé par le potentiel et l’exigence de l’interprétation dont la réalité peut - et doit - faire l’objet." Proposer un regard individualisé sur la réalité, telle est son hypothèse de travail.
Yannick Barthe, sociologue et chargé de recherche au CNRS, est un spécialiste des controverses technologiques publiques et du traitement politique des risques collectifs. Il est aussi l'auteur d'un ouvrage intitulé Pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires. Comme son nom l'indique, ce texte porte sur le débat autour du stockage des déchets nucléaires et des enjeux politiques qui se cachent derrière ce sujet ultra-polémique. Barthe explique que les responsables de l'industrie nucléaire sont persuadés d'avoir trouvé une solution au traitement des déchets nucléaires, qu'il est impossible de désintégrer: "Comment affronter la temporalité vertigineuse des déchets nucléaires ? Comment se protéger de ces matières dangereuses pendant des milliers d’années ? À Onkalo en Finlande comme ailleurs, ils étudient la possibilité de stocker ces résidus dans le sous-sol, à 500 mètres de profondeur." C'est ce vaste projet qui fait l'objet du documentaire Into Eternity.
Michael Madsen explique qu'il a été à la fois fasciné et horrifié par le projet Onkalo, prévu pour tenir plus 100 000 ans: "Cela dépasse d’un point de vue technique comme d’un point de vue philosophique, toutes les initiatives humaines existantes jusqu’à présent. C’est complètement inédit." Son documentaire, il l'a imaginé comme un film de science-fiction qui proposerait entre autres de nous projeter dans 100 000 ans: "(...) Je pense que [Onkalo] est un projet emblématique de notre époque - mais aussi une façon bien étrange de se projeter dans l’avenir. Cette conception très moderne du temps m’a paru être un point de vue passionnant pour un documentaire."
100 000 ans, c'est donc la durée de vie prévue pour Onkalo, cette cachette des plus radioactives qui soient. 100 000 ans est une période qui paraît difficilement concevable à notre échelle. Quand on sait que notre humanité est née il y a environ 100 000 ans, il est compréhensible que nous ayons du mal à nous imaginer 100 000 ans plus tard. Des créations humaines les plus anciennes, il ne nous reste que les peintures rupestres, effectuées il y a 30 000 ans, à l'époque de l'ère paléolithique, et les pyramides, qui ont 4500 ans. On sait aussi que le Christ est né il y a 2010 ans. Quant aux premières détections de la radiation, elles ont été faites il y a 115 années de cela. Tout cela est donc dérisoire face aux 100 000 ans d'âge prévus pour l'installation de stockage en Finlande.
Au-delà des risques liés à l'exploitation du nucléaire, il y a ceux liés au traitement des résidus radioactifs. Il faut savoir que les déchets nucléaires sont extrêmement nuisibles pour tous les organismes vivants. Tout individu qui s'expose aux rayonnements peut être victime de mutations génétiques, de cancers incurables et est voué à une mort certaine. Il n'existe que peu de normes de sécurités autour du stockage des déchets nucléaires. 100 000 ans: c'est la durée de vie des particules radioactives contenues dans ces détritus. 300 000 tonnes: c'est la quantité totale de déchets nucléaires dans le monde à l'heure actuelle. Chiffre tout aussi astronomique et qui ne cesse de s'accroître de jour en jour.
Le titre du film, est lié d'une part à la temporalité des indestructibles déchets nucléaires, et d'autre part à la zone où ces mêmes détritus radioactifs seraient déposés. Yannick Barthe use d'un certain lyrisme pour évoquer lui même cet endroit construit dans les entrailles terrestres:"Censé résister au temps, insensible aux aléas de l’histoire, aux guerres, aux épidémies, ce coffre-fort géologique n’aurait nul besoin d’être surveillé. Les déchets nucléaires pourraient y reposer en paix. Pour l’éternité."
Michael Madsen est allé interroger les scientifiques et techniciens qui ont imaginé la construction d'un sanctuaire dédié aux déchets radioactifs. Dans le cadre de leur projet, tout semble avoir été réfléchi et anticipé. Le cinéaste a essayé de déstabiliser ses interlocuteurs en posant certaines questions qui suscitent chez eux des réactions embarrassées. Ce dispositif filmique permet de dénicher les failles de cette invention technologique ultra-ambitieuse mais aussi très périlleuse.
Onkalo, qui signifie "cachette" en finlandais, se situe à Olkiluoto, soit 300 kilomètres au nord-ouest d'Helsinki. Il s'agit du premier site de stockage permanent des déchets radioactifs. Ce dépôt a été creusé dans du granit et constitue en un immense réseau de tunnels. Débutés en 1970, les travaux prendront fin, selon les calculs officiels, dans plus de cent ans ! La Suède envisage de construire elle aussi une installation de stockage mais cela reste pour le moment hypothétique...
- Stockage provisoire: Tout combustible nucléaire usagé doit être immergé dans une piscine d'eau froide au sein d'entrepôts protégés, souvent situés à côté des zones de production nucléaire. L'eau permet le refroidissement des déchets et protège des émanations radioactives. Il faut environ 50 ans pour que la température baisse en dessous des 100 degrés, en dessous desquels le combustible redevient exploitable. En cas de catastrophes humaines ou naturelles à proximité de ces entrepôts, il y a un réel danger nucléaire.
- Stockage permanent: Pour éliminer tout risque de dispersion dans la nature, les déchets nucléaires doivent désormais faire l'objet d'un stockage permanent. Il faut donc réquisitionner des zones naturelles connues pour leur stabilité, sans risque d'inondation, sans activité sismique, ni volcanique... Sauf qu'un certain nombre de pays producteurs n'ont pas d'environnement répondant à ces critères. Cela implique donc le déplacement de leurs détritus radioactifs vers d'autres pays. Or, le transport pose d'énormes problèmes de sécurité. L'affaire n'est donc pas résolue et ne le sera réellement que dans... 100 000 ans.
Michael Madsen souhaite, par le biais de son film, rouvrir les discussions autour du stockage des déchets nucléaires, et plus généralement autour des innombrables dangers suscités par la prolifération de l'énergie nucléaire. La sortie du film survient peu de temps après la catastrophe écologique de Fukushima. Cette centrale nucléaire japonaise a en effet été endommagée par un violent tsunami en mars 2011.
Into Eternity a reçu un accueil triomphal dans les festivals qui l'ont projeté. Il y a été récompensé par de nombreux prix : Prix du Meilleur Documentaire au Festival Nordique de Bergen (en Norvège), Prix du Public au CPH : DOX, un festival spécialisé dans la projection de documentaires (également au Danemark), Grand Prix au Festival Vision du Réel (en Suisse), Grand Prix Panasonic Plante Doreview (en Pologne) et Grand Prix au Festival International du Film d'Environnement (en France).