Voir la mer : les secrets du tournage

Avec Voir La Mer, Patrice Leconte souhaitait retourner, après La Guerre des miss ou Les Bronzés 3 amis pour la vie, à un cinéma plus personnel et aussi plus libre en terme d'équipe. De plus, le réalisateur désirait raconter une pure histoire de cinéma, à savoir celle d'un triangle amoureux : "Ça me plaisait beaucoup de raconter une histoire sentimentale impossible dans la vraie vie que le cinéma rend possible." Enfin, Patrice Leconte revendique à travers ce film une forme de légèreté : "Je souhaitais que ce film soit pour les spectateurs une parenthèse enchantée, comme une espèce d’oasis dans leur vie de tous les jours. Qu’on puisse aller au cinéma, que la salle s’éteigne et que l’on nous montre sur un écran des choses légères et libres, plus légères et plus libres que dans la vie quotidienne", explique-t-il.

Voir la mer est le 1er film que Patrice Leconte écrit seul (excepté Le Parfum d'Yvonne qui est une adaptation) : "Je ne me suis même pas posé la question. Peut-être parce que j’avais très précisément en tête ce que je voulais faire. Peut-être aussi parce que ce ton que je voulais, ce charme que je recherchais et qui, par définition, est fragile, sont parmi les choses les plus difficiles à partager…"

Le titre du film n'a pas été choisi par hasard par Patrice Leconte. En effet, le réalisateur avoue être incapable d'écrire un texte s'il n'a pas de titre. Son choix s'est porté sur "Voir la mer" : "Ce titre me plaisait et résumait parfaitement mon envie d’aller vers la mer avec une fille qui ne l’avait encore jamais vue, de traverser la France de Montbard, en Bourgogne, jusqu’à Saint-Jean-de-Luz, au Pays Basque…"

Patrice Leconte a écrit Voir la mer en pensant aux deux acteurs pour incarner les deux frères. C'est après les avoir rencontrés au Festival de la Réunion il y a quelques années et observé leur complicité que le réalisateur décide d'écrire pour eux : "Le désir d’un acteur est un moteur formidable pour un metteur en scène. (...) Quand ces deux acteurs-là, Clément et Nicolas, vous disent «Un jour on aimerait bien jouer deux frères», c’est forcément inspirant. Je me suis d’ailleurs beaucoup nourri de ce que j’avais vu d’eux, de ce que je percevais d’eux jusqu’à donner leurs prénoms aux personnages."

Patrice Leconte revient sur le caractère de chacun des frères de son film : "Nicolas, le cadet, a des émerveillements, des emballements encore un peu enfantins. Il n’en revient pas qu’une fille pareille tombe dans sa vie. (...) Clément, lui, a vécu plus de choses. Il vient de se faire quitter. Sur un plan purement sentimental, c’est un convalescent. Donc, il a des doutes, il est plus frileux, plus méfiant en tout cas, et pas de très bonne humeur non plus."

Le personnage de Prudence est, comme souvent chez Patrice Leconte, une femme qui fait irruption dans la vie d'un personnage : "Un coup de coeur, un coup de foudre, l’évasion sentimentale, c’est forcément dû à une femme qui tombe du ciel. (...) Dans la vie, comme au cinéma, ce sont les rencontres, et pas seulement sentimentales, qui, dans ce qu’elles ont d’inattendu, et parfois de lumineux, nous font avancer, nous font changer."

Pauline Lefevre, ex-miss météo de Canal+, fait ses premiers pas sur grand écran dans Voir la mer. La jeune femme avait déjà tapé dans l'œil du réalisateur lorsqu'elle travaillait à la télévision : "Je trouvais qu’elle avait quelque chose qui n’appartenait vraiment qu’à elle. Une sorte de générosité saine." Une fois rencontrée, Patrice Leconte tombe sous le charme de Lefevre, qu'il décrit comme "Quelqu’un d’humainement très attachant." Après avoir fait la connaissance d'une douzaine de comédiennes, le cinéaste revient finalement sur son 1er choix : "je n’arrivais pas à chasser Pauline de mon souvenir. Je trouvais qu’elle était la plus apte à véhiculer cette insouciance que j’avais en tête, le charme aussi. (...) J’avais envie qu’elle me parle du personnage et du film. On s’est revus et elle m’en a parlé d’une manière très juste."

Patrice Leconte a un faible pour les femmes aux cheveux courts, à qui il a d'ailleurs consacré un roman... Les femmes aux cheveux courts : " (...) J’ai une réelle passion, profonde, sincère, mystérieuse, pour les femmes, les jeunes femmes, les jeunes filles, aux cheveux courts. Il y a chez elles quelque chose qui me ravit, qui m’illumine même." Il a ainsi demandé à Pauline Lefevre de se couper les cheveux, comme il l'avait fait avec Vanessa Paradis dans La fille sur le pont : "C’était important que cette fille, cette femme, cette Prudence, ait les cheveux courts. Cela allait avec sa séduction, avec le charme que je voulais pour le film…", explique-t-il.

Contrairement à ses partenaires, Clément Sibony et Nicolas Giraud, Pauline Lefevre incarne un personnage qui n'a pas le même prénom qu'elle : "Pendant un moment, je m’étais fait à l’idée qu’elle pourrait s’appeler Pauline puisque les deux garçons s’appelaient Clément et Nicolas. Mais assez vite, j’ai réalisé que ce n’était pas forcément une bonne idée. Ce personnage, ce n’est pas elle, il n’a pas été écrit pour elle. ça l’embarrassait qu’il porte son prénom, ça créait un amalgame qui la gênait. Elle aimait bien l’idée de jouer un personnage et de ne pas se jouer elle", explique Patrice Leconte.

L'acteur incarne Max, un homme qui part à la recherche de son ex, Prudence. C'est sur les conseils de son assistante, Barbara Dupont, que Patrice Leconte l'a engagé.

Patrice Leconte admet que Voir la mer est son film le plus sensuel : "ça tient bien sûr à mon envie, mais aussi beaucoup aux acteurs. À leur disponibilité. À leur liberté. À leur capacité de jouer aussi avec leur physique." Il reconnaît aussi son émerveillement pour la jeunesse, bien que paradoxalement, il affirme qu'il n'aurait pas été capable de faire ce film plus jeune : "J’ai l’impression, non, la certitude, qu’il me fallait le recul de mon âge pour faire un film qui parle de cet éclat-là. C’était amusant de faire un film avec cette insouciance d’un premier film, mais avec aussi l’expérience que vous donnent les trente précédents."

Patrice Leconte a décidé de s'affranchir de toutes les contraintes de mise en scène avec ce film : "En fait, le projet de mise en scène était… de n’en avoir aucun ! C’était qu’à la liberté des sentiments, à la liberté de l’histoire, corresponde la liberté du filmage. C’est le seul film que j’ai fait en arrivant tous les matins sur le plateau sans avoir une ligne du découpage. Je n’avais même pas le scénario dans la poche, je connaissais les scènes par cœur, j’avais quelques idées derrière la tête évidemment, mais on jouait d’abord les scènes et puis on voyait comment ça venait, comment ça s’organisait."

De même que pour sa mise en scène, Patrice Leconte a décidé d'être le plus libre possible sur le tournage : "il fallait absolument que cette légèreté de ton, cette légèreté du projet soit aussi une légèreté de fabrication. J’ai toujours aimé la perspective des routes, les déplacements, l’idée qu’un film soit itinérant, d’être un soir ici et le lendemain ailleurs, de s’arrêter dans les stations-services, de manger des sandwichs triangulaires, de repartir…" L'équipe du film, composée de quatorze personnes, a ainsi parcouru pendant cinq semaines les routes dans deux minibus.

Sur Voir la mer, Patrice Leconte retrouve Jean-Marie Dreujou, l'un de ses plus fidèles collaborateurs, qui a été directeur de la photographie notamment sur La fille sur le pont, L' Homme du train, Les Bronzés 3 amis pour la vie et La Guerre des miss. Le réalisateur et son chef opérateur ont voulu donner au film un côté chaud et lumineux, comme l'explique le cinéaste : "On s’est tout le temps demandé comment faire pour que le film soit sensuel, attirant, charmant sans que ce soit trop naturaliste. (...) Ensuite, à l’étalonnage, on a accentué cet effet et on s’est ingénié à réchauffer les images pour aller vers le soleil, mais cela reste un film en couleurs normales. Dès qu’on commence à trafiquer un peu les couleurs d’un film, à les altérer donc, on altère les peaux, l’envie de se caresser, la sensualité du film…"

Excepté une musique signée Étienne Perruchon -qui a collaboré avec Patrice Leconte sur Dogora, Les Bronzés 3 amis pour la vie et prochainement Le Magasin des suicides-, Voir la mer ne comporte aucune musique originale : "C’est un énorme plaisir de chercher des morceaux, d’essayer des chansons que vous aimez, de tâtonner", déclare le réalisateur.

Alors que sort sur les écrans Voir la mer, son 28e film, Patrice Leconte publie un livre d'entretiens, J'arrête le cinéma, dans lequel le réalisateur se penche sur son parcours : "Lorsque nous avons commencé ce livre, j’avais vraiment envie d’arrêter le cinéma. Parce que je me rendais compte que les derniers films que j’avais faits n’étaient pas assez personnels." Finalement, Voir la mer a redonné l'envie à Patrice Leconte : "Cette liberté qui baigne tout le film n’a pas de prix... J’ai donc convenu que j’arrêterais sans doute le cinéma mais… un peu plus tard !"