Le Voyage de Lucia a été présenté au Festival de Toronto en 2010.
Le Voyage de Lucia est le deuxième long métrage de Stefano Pasetto
Stefano Pasetto est né à Rome en 1970. Il est écrivain, réalisateur et scénariste et contribue à plusieurs revues de cinéma. Entre 1999 et 2003, il réalise plusieurs courts métrages et documentaires régulièrement sélectionnés et primés dans divers festivals internationaux. Il tourne son premier long métrage Tartarughe sul dorso, en 2005.
Stefano Pasetto nous raconte les prémices du projet : "Je suis parti d’une histoire d’amour à laquelle j’ai tout
de suite donné une couleur féminine. En écrivant mon récit, je me suis rendu compte que la dynamique propre aux femmes ne les concernait pas de manière exclusive. Au fur et à mesure du processus d’écriture avec ma coscénariste, j’ai réalisé que mes deux protagonistes, mais aussi leurs compagnons arrivaient progressivement à la même réflexion, adressée par la vie : se laisser secourir par son propre côté féminin. La féminité est à l’origine de mon film."
Stefano Pasetto a voulu raconter une histoire d'amitié féminine car selon lui la situation des femmes en Italie est catastrophique : "En Italie que la reconnaissance de la condition féminine relève de l’urgence. Vous savez sûrement qu’il y a eu récemment une importante manifestation de femmes qui criaient au Président du Conseil. On comptait également beaucoup d’hommes dans le cortège : des maris, des frères, des pères", explique-t-il.
Le Voyage de Lucia se déroule en Argentine, un choix que le réalisateur justifie ainsi : "Au départ, je pensais que cette histoire se déroulerait entre l’Europe du Nord et la Méditerranée. Or, j’avais besoin de lieux complètement différents car le film oppose la claustrophobie à l’ouverture, l’uniforme strict d’hôtesse de l’air au look décontracté de Lea, les générations et les personnalités. Il me fallait un lieu riche en contradictions, où l’on pourrait aussi bien trouver une grande métropole que des espaces sans frontières, des élevages de poulets et des créatures sorties des abysses de l’Océan."
Bien que le film soit italien, il se déroule en Argentine, le réalisateur explique pourquoi : "Il était difficile d’envisager de faire ce film en Italie, pas vraiment pour des raisons politiques mais plutôt pour ce que dit Lea dans le film : “Pourquoi rentrer en Italie alors que la seule dignité qu’il nous reste est la télévision ?”. Je dois reconnaître que la situation en Italie est bien celle évoquée par Lea : la culture s’estompe au profit du seul divertissement."
Stefano Pasetto précise les raisons qui l'ont poussé à choisir Francesca Inaudi pour interpréter le rôle de Léa : "Nous avons fait appel à Francesca dans un second temps. J’ai eu vraiment beaucoup de chance car elle ressemble également à son personnage : elle a ce même grain de folie qui lui a d’ailleurs permis de me suivre jusqu’en Patagonie."
Stefano Pasetto revient sur le casting de Sandra Ceccarelli : "Sandra fait partie du projet depuis le départ. Son expérience de femme est très proche de celle de son personnage. Elle lui a donné toute sa force et s’est investie physiquement sans compter."
Lucia et Léa entretiennent des rapports particuliers, loin des hommes. Le réalisateur explique : "Le seul et unique scandale de cette relation tient à son affranchissement de la tutelle masculine. Mon film relate plutôt une expérience érotique et sentimentale."
Bien que le père de Léa ne soit jamais à l'écran, il n'en est pas pour autant absent de film, comme l'explique Stefano Pasetto : "Je souhaitais que le père de Lea représente une absence, avec à la base, un complexe d’OEdipe. Lea ne peut établir aucun lien affectif mature car elle est amoureuse de ce père qui fuit en permanence. Tant qu’elle ne le tue pas symboliquement, elle ne peut établir de rapports sincères avec les autres. Elle pourra finalement grandir en retournant sur les lieux qu’elle a fuis, vers le fiancé qu’elle a quitté et en se mariant avec lui, ce qui était inconcevable pour elle au départ."
Le Voyage de Lucia contient un grand nombre d'ellipses, toutes très importantes. "J’aime créer un espace que le spectateur puisse remplir. Quand je vais au cinéma, je n’aime pas qu’on me guide d’un point à un autre ou qu’on m’entraine sur une seule trajectoire. J’ai besoin de compléter, de remplir les espaces. Je ne pense pas à ces ellipses avant d’y recourir mais je m’aperçois ensuite qu’elles exercent un attrait sur moi", confie le réalisateur.
Stefano Pasetto revient sur la scène dîte du "miroir" : "Il s’agit d’une confrontation qu’on devait visuellement ressentir : Lea amène Lucia à se regarder en face et à constater tout ce qu’elle a sacrifié le long de sa route. Lors de leur première rencontre, Lea pénètre dans la maison de Lucia et enfile son uniforme d’hôtesse de l’air. C’est comme une armure qui tombe, à l’instar de l’ange dans Les Ailes du désir de Wim Wenders qui tente de se libérer de sa carapace. En se saisissant de ce vêtement, Lea fait remarquer à Lucia qu’elle a besoin de changer de peau."
Stefano Pasetto utilise souvent la métaphore animale dans ses films, selon lui les animaux sont "les symboles les plus efficaces, pour exprimer nos difficultés à affronter la vie".
Un des personnages du film se prénomme Doniel, un hommage à la Nouvelle Vague et à un de ses héros les plus connus. "J’aime les films de la Nouvelle Vague et le fait que ces jeunes auteurs aient créé un espace de liberté. J’apprécie la légèreté de François Truffaut et j’adore Jules et Jim que je dois voir au moins deux ou trois fois par an. Je lui dois donc beaucoup, pas seulement en tant que cinéaste mais en tant qu’individu", raconte Stefano Pasetto.
Lors de la dernière scène, Lucia danse avec Léa. Mais est-ce la réalité? Le réalisateur répond : "On peut supposer qu’elle a imaginé y être entrée seulement." Il ajoute à son sujet : "Pendant que je tournais cette scène, Le Conformiste de Bernardo Bertolucci m’est revenu en tête. Dominique Sanda et Stefania Sandrelli y dansent un tango. Même si ma scène a été tournée à Buenos Aires, je ne voulais pas filmer un tango qui implique des rapports de force. La circularité de ma danse, au contraire, induit une égalité entre mes deux personnages."
Stefano Pasetto nous éclaire sur le nom du bateau : "Le navire s’appelle Il RIchiamo (l’appel) parce que lorsque les deux femmes se retrouvent dans un cimetière de bateaux, Lucia demande comment on peut finir là. Léa répond que c’est “pour fuir quelque chose ou pour répondre à un appel". Ce bateau est un prétexte. Il ne sert à rien d’un point de vue pratique."