Michel Ocelot dévoile l'intention qui se cache derrière tous ses films : "J'ai un goût extrême pour les contes, pour l'agencement de petites mécaniques qui se mettent à tourner joliment. Ce sont des cadeaux que j'offre aux gens, car j'aime faire plaisir, épidermiquement, et je l'espère, profondément."
Michel Ocelot, réalisateur des Contes de la nuit, est plus connu pour avoir réalisé Kirikou et la sorcière.
Christophe Rossignon, producteur du film, raconte comment est né le projet : "Après Azur et Asmar, Michel Ocelot avait envie de refaire ce qu’on appelle du théâtre d’ombres et de raconter une série d’histoires courtes. Le projet étant atypique , nous l’avons d’abord imaginé pour la télévision. Cet univers n’étant pas habituel pour nous et après une première tentative infructueuse avec une chaîne généraliste, nous l’avons finalement proposé à Canal+. Michel a commencé à penser au cinéma et nous aussi de notre côté. Un jour, nous avons arrêté de nous tourner autour et avons projeté les premiers contes réalisés à Canal+ et StudioCanal qui ont, à leur tour, convenu de la dimension cinématographique de ce que Michel était en train de fabriquer."
Michel Ocelot raconte comment il a choisi les différents contes présents dans le film : "J’aime le monde des histoires et j’en ai beaucoup à raconter. J’avais tout un ensemble prêt. Avec les producteurs et des collaborateurs, nous avons élu celles qui nous parlaient le plus, et qui en outre offraient le meilleur potentiel en relief. J’en ai aussi écrit une nouvelle, directement en fonction des possibilités de ce relief."
Les Contes de le nuit s'intéressent à plusieurs civilisations. Un choix évident selon le papa de Kirikou : "Toutes les filiations m’intéressent, tous les paysages, tous les arts, et bien sûr toutes les époques. J’aime l’Histoire. J’aime jongler avec les contes de partout, j’y suis à l’aise."
Michel Ocelot revient sur le conte antillais Ti Jean et La Belle-Sans-Connaître : "J’ai choisi par exemple les Antilles à cause d’un conte traditionnel qui m’a plu. C’était aussi l’occasion de faire de jolis décors, avec les plantes tropicales que j’aime."
Michel Ocelot a transposé l'histoire d'une jeune fille africaine sacrifiée dans l'Amérique aztèque. "C’est une culture qui nous a offert une remarquable architecture, mais qui a aussi battu des records de cruauté. J’ai associé l’horreur imbécile de ces sacrifices à la beauté des chœurs que j’imaginais comme ceux de Verdi (Christian Maire, le compositeur, a fait des merveilles). Allier des chants magnifiques et des choses épouvantables, le pire et le meilleur, était intéressant, et s’est déjà fait, en vrai", affirme le réalisateur.
L'Afrique est le continent qui a rendu Michel Ocelot célèbre, il tient donc une place à part dans son coeur : "Mon succès fondateur avec l’histoire d’un bébé africain me pousse à revenir de temps à autre à ce continent noir, avec une petite chose comme ce Garçon Tamtam, ou de plus grandes, comme les nouvelles aventures de Kirikou sur lesquelles je travaille en ce moment", confie-t-il alors.
Deux Contes de la Nuit se déroulent au Moyen Age. Cependant ils sont très différents, comme l'affirme le réalisateur : "Le loup garou évoque la fin de cette période. Les costumes sont inspirés du XVe siècle à la cour de Bourgogne, avec ses coiffures magnifiques, dont celle de l’épouse de Jacques Cœur. Avec La fille-biche et le fils de l’architecte, j’ai célébré notre culture gothique du XIIIe siècle."
Les Contes de la nuit abordent des thèmes très durs, qu'on ne trouve que très rarement dans le cinéma d'animation. "L’amitié, l’amour et la mort sont des thèmes fondamentaux. La mort est très rarement représentée dans les dessins animés – à la rigueur, de loin pour les méchants, mais pas pour les gentils. Dans Le garçon qui ne mentait jamais, amener la mort était intéressant. L’ami se sacrifie. La notion de sacrifice est intéressante aussi, mais ici le sacrifice est excessif !", confie Michel Ocelot.
Dans toutes les œuvres de Michel Ocelot, les femmes tiennent un rôle proéminent. Un choix qu'il justifie ainsi : "Je tiens à toujours donner une place éminente aux femmes, qu’elles devraient avoir naturellement. Un peu partout dans le monde, les hommes sont des tortionnaires, les femmes des victimes. On peut presque parler de génocide. Dès le début de ma vie, j’ai eu la chance d’avoir des femmes dans ma vie une maman et une petite sœur, c’était bien, et rien ne justifiait une hiérarchie. Et plus tard, je n’ai jamais eu d’amies qui auraient eu une position subalterne. Bref, il y a des héroïnes dans mes histoires."
Les animateurs du film se sont aidés d'ordinateurs pour réaliser Les Contes de la nuit. Une méthode qui ne plaît pas toujours à Michel Ocelot : "Au début, je n’avais pas d’argent et j’ai fait ce qui pouvait être fait avec presque rien, du papier découpé. Cette simplicité m’allait tout à fait. On a de gros ordinateurs et de gros logiciels, et on se retrouve à faire une bande démo pour le logiciel. Je ne suis pas là pour cela. Je demande deux ou trois choses à l’ordinateur, seulement ce qui peut m’être utile. Je veux aller droit au but !", explique-t-il.
Rodolphe Chabrier terminait la fabrication de Moi, moche et méchant quand il a été approché pour faire la 3D des Contes de la nuit.
Rodolphe Chabrier, responsable de la 3D, explique comment s'est déroulé le travail de mise en relief : "L’opération se répartit entre deux méthodes. L’une, conventionnelle, comporte des à-plats mis dans une sorte de 3D. Sans demander de layers spécifiques, nous avons refilmé virtuellement les éléments du film et les avons mis en volume. L’autre procédé, dit de spatialisation, repose sur une technologie qui nous est propre. Sans rentrer dans les détails, lorsque l’on travaille avec du papier découpé, les personnages en volume sont souvent liés au sol à des éléments de décor qui eux, demandent une perspective. Le spectateur doit sentir la profondeur avec cohérence. Nous avons développé les outils qui nous permettent de gérer cela plus rapidement; le temps est alors consacré à élever le confort de lecture de l’image et sa qualité artistique. On utilise ce procédé pour d’autres projets, y compris sur du live, et contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, cela marche très bien. Il faut de bons stéréographeurs, savoir comment gérer entre autres les entrées et sorties de champ, si on donne l’impression d’être grand ou petit, en plongée ou en contre-plongé focaliser le regard du spectateur sur certains endroits ou pas. "
Michel Ocelot a été stupéfait lorsqu'il a découvert son univers en 3D : "Lorsque j’ai découvert les premières images en relief, j’ai poussé un cri d’émerveillement, comme un enfant ! Tant que ce côté magique subsiste, il est intéressant d’utiliser cette technique." Pour Christophe Rossignon, "le relief embellit le film en lui donnant de la profondeur et même du sens".
Les séquences utilisant des ombres chinoises se sont révélées très difficiles à réaliser. "Il est vrai que raconter une histoire en silhouettes noires, est quelquefois un défi. On n’a pas l’aide de la couleur, de la délimitation de tel membre qui se trouve perdu dans le noir, on a un espace très limité, même avec le relief", confie le réalisateur. Mais malgré les difficultés, il reste un grand admirateur de cette technique : "En simplifiant à l’extrême, en ne retenant que la courbe la plus pure, les Égyptiens ont saisi la beauté maximum. Le torse est plus beau et lisible de face, les jambes, les fesses et la tête, de profil. C’est dans cet esprit que j’aime la silhouette noire. Quoi qu’on fasse, c’est un signe très fort qui produit une impression extrême sur la rétine", explique-t-il.
Pour Michel Ocelot, le son est très important dans un film et surtout dans un film d'animation : "Les voix, les bruitages et la musique sont essentiels. Nous allons au cinéma avec nos yeux et nos oreilles ! J’ai de très bons rapports avec les musiciens, que je fais intervenir dès le début de la fabrication. Nous travaillons la main dans la main. J’ai aussi d’excellents rapports avec les comédiens, qui jouent librement, sous ma direction, mais ne font pas de doublage. Ce sont les animateurs qui suivent leurs voix, ce qui n’est pas difficile. Le bruitage est fascinant, ainsi que la conception et le montage de l’ensemble sonore."
Christophe Rossignon, producteur, a l'habitude d'apparaître dans les films qu'il produit. Michel Ocelot lui a donc réservé une petite place dans son film : "Je me suis dit que j’allais lui offrir son premier rôle de dessin animé. Même s’il n’a que deux phrases, il s’en est parfaitement acquitté." On entend aussi la voix du réalisateur à quelques moments du film : "Il faut savoir qu’avant de tourner un film, je commence par une esquisse filmée, une succession d’images fixes avec ma voix dans tous les rôles. Cela s’appelle l’animatique et permet de définir très précisément le déroulement du film avant qu’il n’existe. Lors de l’enregistrement des vraies voix, il arrive que je joue un des rôles dans lesquels je me suis senti très à l’aise, mais je suis surtout un bouche-trou, une phrase de-ci de-là pour un figurant qui manquait", explique-t-il.
Avec Les Contes de la nuit, Michel Ocelot revient au format de ses débuts, celui d'histoires courtes, un choix qu'il justifie ainsi : "Mes plus grandes émotions de spectateur sont peut-être dues à des courts métrages dans des festivals d’animation. Parce que les courts métrages d’animation que j’aime sortent des tripes d’un individu à moitié cinglé comme moi, qui sait qu’il ne fera jamais fortune avec ses productions qui seront vues par relativement peu de monde. Il fait un travail sans compromis, sans autre pression que celle de son besoin impérieux de créer. Cet aspect est très fort."
Selon Rodolphe Chabrier, le responsable de la 3D, les films de Michel Ocelot sont inclassables : "Le film de Michel, comme tous ses précédents d’ailleurs, est vraiment à part. Je crois que le relief lui apporte quelque chose de cohérent, qui valorise encore sa richesse visuelle et son sens de la narration. Les Contes de la nuit trouvent toute leur force au cinéma. En plus de la dimension du conte et de l’histoire, la force picturale est là. Je suis bluffé par la beauté de chacune des images."
Grâce à ses œuvres, Michel Ocelot espère faire passer un message positif : "Je souhaite faire du bien et transmettre de bonnes choses. Je vous transmets mes bonnes adresses, j’ai appris toutes sortes de choses, je vous les confie. Je fais également du bien en essayant de réaliser quelque chose de beau, de touchant et de rigolo. J’aime cela et je l’ai fait toute ma vie, depuis que je suis tout petit. Je fais des films avec toutes les leçons que j’ai collectées durant mon existence, dont je tire des fables."
Michel Ocelot espère s'adresser à toute la population avec ses films : "Au début, j’étais agacé de l’étiquette "enfants" qui m’était collée sous prétexte que je faisais de l’animation. Maintenant, elle ne me gêne plus. C’est un déguisement qui me permet d’approcher les adultes sans éveiller leur méfiance, et de les toucher. Je constate que tous les âges sont réunis dans les salles de cinéma devant mes films, et que tous, quel que soit leur âge, viennent me remercier et me demandent de continuer. Cela me rend heureux. J’ai du plaisir à rencontrer un public complètement mélangé, hommes et femmes, vieux et jeunes, et maintenant le monde entier. Je viens par exemple de recevoir un e-mail émouvant du père d’un petit enfant de l’Alaska, rose et emmitouflé de lainages et de fourrure, persuadé d’être Kirikou, tout noir et tout nu !", s'amuse-t-il.
Avant chaque histoire, un rideau rouge apparait à l'écran. Michel Ocelot nous en donne la signification : "Le rideau rouge, le cadeau emballé dans un beau papier, c’est absolument nécessaire. C’est l’attente au théâtre ou au cinéma. Il y a un coffre et dans ce coffre, un trésor reste à découvrir."
Le film a été présenté au Festival de Berlin 2011.
Cinq ans se sont écoulés entre Les Contes de la nuit et le précédent long métrage de Michel Ocelot, Azur et Asmar.