"Dessine-toi comme tu veux en prenant le temps que tu désires..." Telle a été la consigne donnée à tous les enfants rencontrés par Gilles Porte. Il leur a également demandé à tous de refermer le marker une fois leur dessin terminé, ce qui a servi de repère pour couper les caméras.
Gilles Porte a rencontré 4000 enfants dans 33 pays différents, et sur les 5 continents pour un résultat de 120 heures de rushes. 2000 feuilles de papier noir ont été utilisées, ainsi que 123 markers, 500 crayons blancs et 12 vitres de 1,70 mètres sur 1,10 mètres.
Dessine-toi... est le deuxième film réalisé par Gilles Porte, qui a déjà signé la comédie Quand la mer monte en 2004, récompensé par le César du meilleur premier film. Mais Gilles Porte est avant tout directeur de la photographie, et a notamment travaillé sur Travail d'arabe (2003) ou encore sur Ma vie n'est pas une comédie romantique (2007).
Avant de passer à la réalisation de son film, Gilles Porte a travaillé de nombreuses années sur le projet Dessine-toi.... Il raconte: "J'ai commencé à faire se dessiner ma fille lorsqu'elle est entrée en première année de maternelle. Aujourd'hui, Syrine est en CE2. Cela fait donc 6 ans !"
Bien avant le film Dessine-toi..., la démarche de Gilles Porte a commencé le jour où celui-ci a remarqué des dessins sur les porte-manteaux d'une école maternelle, que les enfants avaient eux-mêmes réalisés pour s'identifier. Il a alors fait faire l'exercice à sa fille, qui s'est dessinée sur une feuille de papier. Plus tard, les enfants de la classe de Syrine, puis ceux de toute son école, ont tenté l'expérience. Gilles Porte a alors eu l'idée d'associer des photos aux dessins. Des photos prises en plongée, "pour essayer de retrouver le regard d'un adulte sur un enfant quand celui-ci nous tire par la manche pour attirer notre attention, " explique le réalisateur.
Gilles Porte raconte : "(...) un jour, lorsque je reçois chez moi un ami d'origine béninoise, ma fille me confie ne pas aimer les noirs... Elle a 4 ans ! Ce qui ne devait être qu'une parenthèse dans une cour de récréation devient autre chose. Je décide de partir avec ma fille, des papiers noirs et des crayons blancs, rejoindre au Kenya ma sœur, membre de Médecins Sans Frontières..." L'Afrique est ainsi la première étape du voyage que Gilles Porte accomplira au cours des années suivantes, en faisant dessiner des enfants du monde entier.
Gilles Porte, qui avait initialement réalisé son projet sous forme d'exposition et de livre, a ensuite décidé de passer à la réalisation d'un film. Il raconte : "Un jour, je regarde Syrine se dessiner sur une porte vitrée et en même temps que son autoportrait apparaît, je découvre tout ce qui se passe sur son visage. C'est incroyable tout ce qu'on ne voit pas quand un enfant est recourbé sur sa feuille de papier ! Alors je décide de repartir avec une vitre autour du monde en convaincant un producteur..." Gilles Porte a d'ailleurs utilisé des vitres teintées pour que les enfants ne soient pas gênés par la présence des caméras.
Avant de réaliser Dessine-toi..., Gilles Porte a d'abord réalisé 80 courts métrages dans lesquels des enfants se dessinaient sur des vitres. Ces courts métrages, intitulés Portraits/Autoportraits, ont été montrés a des enfants à l'occasion du 20ème anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant. Le succès rencontré lors de ces projections a alors encouragé le cinéaste à passer au long métrage.
Dessine-toi... est avant tout l'aboutissement d'une série de rencontres. En effet, Gilles Porte a rencontré des milliers d'enfants à travers le monde, mais il a tout d'abord à chaque fois rencontré leurs parents, leurs instituteurs, ou parfois des chefs de village ou des membres d'ONG sur le terrain.
Le réalisateur a utilisé deux caméras pour chaque dessin. La première avait le même cadre que la vitre sur laquelle l'enfant dessinait. La deuxième, quant à elle, suivait les expressions et les geste de l'enfant, souvent en gros plan. Sur les 600 enfants filmés, une seule et même prise a été réalisée presque à chaque fois, sauf en cas de soucis technique. D'autre part, très peu d'enfants refusaient de se prêter au jeu. "Quand cela se produisait, je proposais toujours aux enfants de passer avec moi derrière la vitre, à côté de la caméra, afin de regarder un autre enfant dessiner. Neuf fois sur dix, ils me demandaient d'essayer à leur tour...", raconte Gilles Porte.
Gilles Porte a décidé de ne pas faire intervenir d'adultes dans son film. Au lieu de mettre une voix off, il a ainsi fait jouer le clarinettiste Louis Sclavis et d'autres musiciens. "(...) Louis Sclavis a composé la musique sans connaitre les images. Catherine et moi avions décidé d'enregistrer la musique avant de commencer le montage (...) la musique sublime les images et les images subliment la musique. En ce sens, image et musique deviennent indissociables," explique le réalisateur.
Plusieurs animateurs graphique se sont occupés de donner vie, chacun de son côté, aux dessins réalisés par les enfants. "Dessine-toi... est un hymne à la création où enfants, musiciens et graphistes partagent une même partition, ne se rencontrant que par le biais du montage...", explique Gilles Porte.
Au cours de son périple, Gilles Porte s'est peu à peu rendu compte de l'importance de l'art dans le monde de l'enfance. "Il serait en effet temps de reconsidérer la place du dessin, de la musique, du théâtre, de la danse à l'école où ils n'ont plus court ! Dessine-toi... prouve, si tant est qu'on en ait besoin, que n'importe quel individu a un potentiel de créativité énorme au départ mais que la vie, ensuite, formate tout cela pour ne laisser finalement que très peu de place au libre-arbitre...", explique le réalisateur.
Gilles Porte, dont la démarche a été assistée par l'Unesco, a tout d'abord voulu réaliser "un film poétique", mais il n'a pas pu ignorer les réalités politiques auxquelles il a été confronté au cours de son expérience. "(...) il m'était impossible de ne pas me rendre compte au cours de mes voyages, que notre école maternelle n'a rien à envier à ce qui se passe ailleurs, n'en déplaise à un ex-Ministre de l'Éducation Nationale qui remettait en question notre système éducatif en direction de la petite enfance," déclare le cinéaste.
"Toutes les cinq secondes un enfant meurt de faim, tandis qu'en ce début de 21ème siècle, 72 millions d'enfants sont encore privés de ce droit fondamental qu'est l'éducation en même temps que l'analphabétisme touche près de 800 millions d'adultes dont deux tiers de femmes. C'est étonnant comme de simples dessins d'enfants m'ont fait prendre conscience de choses auxquelles je ne pensais pas avant de m'arrêter près d'un porte-manteau d'une classe de petite section de maternelle !"