A la manière de Robert Bresson qui est une de ses références majeures (très sensible dans son premier film, Le Jour où le cochon est tombé dans le puits), Hong Sangsoo pense comme ses acteurs comme des "modèles" qui doivent être et non qui doivent jouer. Son travail à lui est donc juste de les mettre à l'aise comme il l'explique: "Je pense qu’un acteur fait bien ce qu’on attend de lui s’il se sent à l’aise. Dans le cas contraire, il se contracte. Il se fie alors à sa mémoire et intellectualise, ce qui nuit à son jeu naturel. Le travail du metteur en scène est de l’amener à un état d’esprit qui lui permet d’éviter cet écueil. Il doit aider l’acteur à se concentrer sur ses propres pensées et ce de manière constante, de façon qu’il puisse entrer dans le film avec des sentiments authentiques."
Contrairement à la plupart des réalisateurs, Hong Sangsoo ne sait pas ce qu'il veut dire en commençant son film et attend des acteurs, non de délivrer son message, mais de le révéler: "Mes idées vont alors à la rencontre de ces acteurs, des êtres vivants. Je découvre alors quelque chose chez eux, j’en arrive à attendre quelque chose d’eux et à découvrir ce qu’ils veulent, eux. C’est au cours de ce processus d’amalgame que je commence à comprendre ce que moi je veux. Ce n’est pas comme si moi, le réalisateur, je donnais des directives aux acteurs pour leur faire dire ce que j’ai à dire. C’est autre chose.(...)Sans Yu Junsang, le personnage qu’il incarne dans Ha ha ha n’aurait jamais été ce qu’il est. C’est vrai pour tous les rôles. L’acteur change, le personnage change aussi, c’est pour moi une évidence."
Comme le Hongkongais Wong Kar-wai, Hong Sang-soo n'a pas de scénario quand il commence à tourner. Il a une vague idée de ce qu'il veut raconter et laisse une grande partie de l'histoire se créer dans son rapport aux comédiens. Et cette façon de faire ne semble pas prête à changer comme il l'explique: "Autrefois, j’arrivais quand même avec les grandes lignes, quelque chose de relativement construit, mais j’ai l’impression que c’est de moins en moins vrai. Avant, le traitement dépassait facilement vingt pages, mais pour Ha ha ha, à peine cinq ! Et ce, en comptant des impressions et des détails inutiles. Je n’avais encore rien décidé quand j’ai commencé à tourner. A peine les lieux et les personnages. Avant d’arriver sur le tournage, je ne savais pas ce que j’allais raconter. C’est de la paresse, mais en même temps, c’est une méthode."
Dans la logique de cette absence de scénario, le réalisateur prépare de moins en moins ses films: "c’est probablement dû à mon désir de percevoir plus de choses inattendues, spontanées. Je suis peut-être aujourd’hui un peu plus habile dans ce processus et dans la façon de l’agencer. C’est pour cela que j’attends beaucoup du tournage. Autrefois, j’y allais avec 50% de préparation ; aujourd’hui, j’ai la conviction que, même si je commence avec seulement 20%, les choses vont venir. Cela dit, 20%, c’est le minimum. En dessous, ça ne tiendrait pas debout."
Hong Sangsoo a eu l'idée d'appeler son film HA HA HA en taxi. Il a vu en passant une affiche abîmée où se trouvait le mot "Ha" qui veut dire été en coréen mais qui est aussi le son du rire. Cela lui a rappelé un livre d'un célèbre auteur coréen qui s'appelle "Bom Bom Bom" ce qui signifie "printemps printemps printemps". Il a donc eu envie de faire un film léger (d'où le rire) qui s'appelle "été été été", une saison à la présence très perceptible dans le film.
Après une forte proportion à nous offrir des titres à rallonge qui étaient autant de références culturelles (un livre de John Cheever de 1954 avec Le Jour où le cochon est tombé dans le puits, La mariée mise à nu par ses célibataires, même, oeuvre de Marcel Duchamp avec La Vierge mise à nu par ses prétendants, Louis Aragon avec La Femme est l'avenir de l'homme) ou politiques (Le Pouvoir de la province de Kangwon), Hong Sangsoo tend peu à peu à raccourcir ses titres (Turning Gate, Woman on the Beach, Night and Day) jusqu'à ce HA HA HA (en lettres majuscules) qui parait vouloir éloigner les multiples lectures pour aller à l'épure, au ressenti même ce qui est dans la logique de ce film rudimentaire dans ses moyens et très existentialiste dans son sujet. On peut se demander si le réalisateur a voulu citer le Figaro du Barbier de Séville "Je me presse de rire de tout de peur d'être obligé d'en pleurer" ou, comme l'imagine le critique Jean-Dominique Nuyttens de la revue Positif, La Bruyère :"Il faut rire avant que d'être heureux de peur de mourir sans avoir ri?".
Dans ce film, les protagonistes voyagent. Cela a déjà été le cas dans plusieurs des films du réalisateur (à Paris dans Night and Day, dans la province de Kangwon dans Le Pouvoir de la province de Kangwon, sur l'île de Jeju dans Les Femmes de mes amis...), est-ce un goût du réalisateur qui est un grand globe-trotter? Pas tout à fait, Hong Sangsoo nous apprend avec autodérision qu'il ne montre que des endroits qu'il connait: "J’ai constamment envie de partir, mais je n’y arrive pas toujours, car je suis paresseux. Les endroits que j’ai visités, je les ai presque tous montrés dans mes films. Quand je ne suis pas trop pris par le travail, je provoque mes proches de manière impulsive : « Allez, on y va ? » Mais ça n’arrive pas souvent et on en revient en général après nous être payé une assiette de sashimis !"
Quand on lui demande de nous parler de sa place de cinéaste "indépendant", Hong Sangsoo offre une réponse pleine de bon sens et de modestie: "L’expérience a prouvé que mes films n’attiraient pas beaucoup de spectateurs, il est donc normal de revoir à la baisse les coûts de production. Et puis, le manque d’argent ne m’empêche pas de dire ce que j’ai à dire."
Ha ha ha se passe en grande partie dans la ville coréenne de Tong-yeong, lieu de naissance de l'amiral Yi Sunsin, personnalité du XVIe siècle, héros de la guerre Imjin contre le Japon, et dont la présence plane tout au long du film. Hong Sangsoo nous parle de lui: "C’était un personnage exceptionnel. Il a dû se sentir très solitaire tout au long de son existence. Je me demande comment il a survécu à cette solitude. Je crois que c’était vraiment quelqu’un de bien… de très rare."
Ce film a reçu le Prix "Un Certain Regard" au 63ème festival de Cannes. C'est la cinquième fois que Hong Sangsoo se rendait dans cette ville et la troisième fois dans la section "Un Certain Regard". Déjà son deuxième film, Le Pouvoir de la province de Kangwon y était sélectionné en 1998 ainsi que son film suivant, La Vierge mise à nu par ses prétendants. Il fut deux fois en compétition officielle pour La Femme est l'avenir de l'homme (2004) et Conte de cinéma (2005).