Ce mélange des genres associé à une trame scénaristique touffue, dont certains aspects auraient mérité davantage de développements et d’explicitations, constitue la limite d’un long-métrage qui n’évite pas l’outrance et l’accumulation. L’outrance, qui confine ici à la complaisance, se manifeste dans la multiplication des scènes de soins, à l’hôpital, qui ressemble d’ailleurs dans sa lumière glauque et ses recoins crasseux à une porcherie, comme dans l’ambulance où sont prodigués aux accidentés les premiers traitements. On ne compte donc plus les piqûres, y compris celles que s’administre à elle-même la jeune femme médecin, ni les litres d’hémoglobine dégoulinant sur les visages et les torses des personnages. L’accumulation se niche dans la profusion de détails sur les victimes, plus ou moins consentantes, des mésaventures routières et dans l’enchevêtrement des péripéties et des rebondissements dont on n’assimile pas toujours les tenants et les aboutissants. Autrement dit, on passe à côté des nombreuses implications qui relient dans un marché de dupes policiers complices, avocats et assureurs véreux secondés par des hommes de main sans vergogne, médecins débordés et consentants. La déconstruction de ce qui semble bien constituer une composante de l’économie argentine à base d’escroqueries et de connivences corporatistes reste dans l’imprécision et laisse le spectateur occidental sur sa faim, incapable d’en saisir toutes les subtilités. L’ambiance nocturne et l’ancrage dans des lieux interlopes et délabrés achèvent de provoquer un malaise dont on peine à déterminer s’il naît de l’environnement décrit ou des moyens souvent grossiers, sinon racoleurs, employés pour le mettre en scène.
Si l’avocat partagé entre éthique et sauvegarde personnelle, interprété avec justesse par Ricardo Darin, acteur vedette depuis son triomphe avec Dans ses yeux, se révèle un personnage fort et complexe, l’ambulancière médecin (Martina Gusman), d’abord praticienne froide et efficace, se métamorphose sans logique ni crédibilité en amoureuse déboussolée et larmoyante. Abandonnant peu à peu une description quasi documentaire d’une situation réelle qui, en effet, abasourdit, Pablo Tropero s’oriente vers une fiction nettement plus banalisée aux ressorts convenus et maintes fois éprouvés. En s’éloignant des caractéristiques idiosyncratiques de son projet, le réalisateur de Nacido y criado lui ôte sa spécificité, y compris artistique, pour le commuer en objet hybride et commun.