"Mon intention est de donner à ces conflits locaux une portée universelle en conduisant le spectateur à s’identifier à ce territoire et ses habitants, sans perdre de vue que ce même spectateur participe, de par son mode de vie moderne, à l’expansion du monde dont est issue la mine".
La réalisatrice Inès Compan connait depuis 1994 les populations indigènes Kollas de la Puna argentine, qui vivent à plus de 2000 Km de Buenos Aires, à proximité des frontières du Chili et de la Bolivie. Leur vie s’organise autour de l’élevage et de l’exploitation du sel dans les salines voisines. Ni eau, ni gaz, ni électricité dans ces villages coupés du monde et aux conditions de vie extrêmes.
La réalisatrice souhaite, à travers ce documentaire, réhabiliter les Kollas, un peuple oublié d'Argentine qui se retrouve soudainement au centre d’enjeux nationaux et internationaux en raison des richesses naturelles souterraines de leurs terres désertiques.
C'est en remarquant des modifications profondes de la vie des indigènes que la réalisatrice décide de faire son film : "En 2005 (...) je constate que des gazoducs sont en chantier sur les hauts plateaux des provinces de Jujuy et Salta. Le gouvernement mise sur l’exportation des matières premières pour reconstruire l’économie du pays encore affectée par la crise de 2001. Cuivre, argent, lithium agissent comme des aimants auprès des investisseurs nationaux et étrangers (...). Les annonces de réouvertures de mines se multiplient, ainsi que les violations de territoires indigènes par certaines compagnies en phase d’exploration de nouveaux gisements. Je ressens alors comme une urgence de retourner là-bas pour témoigner de cette nouvelle réalité qui s’annonce inquiétante pour l’équilibre de vie des Kollas", confie-t-elle.
Dans ce documentaire, la réalisatrice a choisi de mettre en parallèle deux conflits. Ceux-ci perdurent depuis quelques années au nord de l'Argentine et se répondent ici. Le premier: au sein de la communauté de Cerro Negro, les habitants se révoltent et barrent la route principale afin d’attirer sur eux l’attention des autorités. Depuis quinze ans, ils réclament que la construction de leur école, dont le toit est encore à "ciel ouvert", soit enfin achevée. À quelques kilomètres de là, c’est un autre type de construction dont il est question: une compagnie canadienne, du nom de Silver Standard, lance un projet ambitieux de mine d’argent "à ciel ouvert" également, sur le site abandonné de Mina Pirquitas, à 4500 mètres d’altitude. Cette mine doit devenir l’une des plus productives d’Amérique Latine. Quelques leaders éclairés, soucieux de préserver leur "pachamama" (terre-mère) et la dignité de leur communauté, s’organisent pour résister.
La réalisatrice présente un documentaire qui fait écho à la situation des Kollas à toute époque : "C’est un film au présent dans lequel on vit au rythme des personnages de ce territoire. (...) Quant à la mine en construction, c’est un chantier propice aux projections dans l’avenir, que ce soit à plus ou moins long terme. (...) Filmer aujourd’hui la nouvelle page qui s’ouvre à Mina Pirquitas, c’est aussi faire l’écho du passé destructeur des précédentes exploitations minières dont les traces fantomatiques restent omniprésentes sur tout ce territoire", explique-t-elle.
Les deux événements sont perçus à travers les yeux du peuple indien: à la manière d'Evo Morales, premier président indien ayamara de la Bolivie, le film nous présente des personnages forts et attachants, incarnant l’émergence d’une nouvelle conscience politique.
"J’aimerais déranger les hommes politiques locaux", raconte Inès Compan, "mais j’aimerais aussi que les Canadiens le voient. Ils nous ont donné l’autorisation de tourner sur la zone minière au bout d’un an… Je pense les avoir un peu coincés en leur disant que je filmais des gens qui étaient pour les mines, d’autres contre et que c’était le moment ou jamais de prendre la parole : il y a beaucoup de fausses rumeurs. Je leur disais : « Si vous me laissez entrer c’est peut être une manière aussi pour vous de vous dédouaner ». Ils nous ont donné ce que nous voulions, ils n’ont peut être pas conscience de certains aspects de leur travail."
La mine, qui génère des troubles pour la vie des indigènes est représentée d'une certaine manière, comme l'explique la cinéaste : "Ses ouvriers apparaissent comme des êtres surnaturels, portant masques, lunettes, gants, combinaisons blanches. Les images symboliques fortes, associées au monde de la haute technologie, de la rentabilité de production, de l’hygiène, de la sécurité, permettent sans mal d’imaginer le mode d’organisation et de pensée qu’il suppose en amont. En abordant cet univers de manière surréaliste, j’essaie de générer chez le spectateur un sentiment de «!familière!» étrangeté, face à la transposition d’un monde qu’il peut être habitué à côtoyer, mais qui prend ici un aspect singulier du fait même du décor inhabituel dans lequel il est transposé."
Le tournage du film s'est déroulé à Puna dans la région de Salta, celle des hauts plateaux argentins dans le Nord-Ouest de l'Argentine. Ces territoires cuivrés, encore habités par l'esprit indien, sont "captés sous différentes lumières et conditions climatiques" et le but de la réalisatrice était de "les faire vivre tel un véritable personnage mythologique à l’humeur changeante". Surnommée la "Pachamama" (terre-mère), le territoire de Puna est rude et sec. Inès Compan l'appréhende d'une façon quelque peu syncrétique à la manière des Kollas: "Nous écoutons son silence, son vent, mais aussi ses palpitations, ses grincements, ...De la même manière, les cieux ouverts sur l’infini (tantôt limpides, tantôt chargés de nuages tourmentés) dialoguent avec ces montagnes."