"Je tenais à ce que les saisons rythment le film, du printemps à l'hiver, l'hiver de sa vie, la fin d'une époque, avec comme repère le travail de la vigne, de la taille aux vendanges" explique Pascal Boucher. "Comme Bernard, la nature est difficile à filmer, tant elle semble presque banale, une campagne traditionnelle, le plat pays...Alors il faut être patient, attendre les moments précis où la lumière les transcendent, où les champs sans fin dessinent des lignes épurées, minimalistes. Des paysages comme des tableaux. La Beauce est un espace très cinématographique, baigné dans des lumières qui rappellent la peinture flamande. Je pense à ces peintres du Nord, Nolde, Van Gogh, qui à la fin du XIXe siècle ont pris leurs chevalets pour aller peindre la campagne, les paysans, une vieille paire de chaussures usagées...Comme cette nature, Bernard est un personnage de cinéma, il aurait pu être un de ces vieux héros du Buena Vista Social Club...version beauceronne !"
Bernard Gainier se réclame avant tout comme un anarchiste et un libertaire, dans la droite ligne de ce qu'était Gaston Couté. Pascal Boucher, le réalisateur du documentaire, explique : "dans le Val de Loire, il a toujours existé une tradition libertaire, humaniste. Rabelais, François Villon, Couté...rabelais a écrit son Pantagruel à quelques km de chez Bernard, il prônait déjà au XVIe siècle "Fais ce que voudras". Bernard n'a pas véritablement de doctrine, disons qu'il a développé une certaine allergie à l'autorité. Il a ainsi préféré rester paysan plutôt que de devenir ouvrier, même si c'est plus de contraintes et moins d'argent. Comme il le dit lui-même : "au moins on est libre, on a pas de chef !". Dans un milieu paysan généralement conservateur, c'est un homme très tolérant et son humanité en fait quelqu'un d'attachant. Il continue à vivre dans son temps à lui, comme il en a toujours été, sans pour autant rejeter la modernité. Il veut qu'on respecte son mode de vie, comme il respecte celui des autres. C'est peut-être cela sa manière d'être anar".
Depuis quelques années, peut-être aussi parce que la société est devenue très réceptive aux questions touchant au bien être, à la qualité de vie, à l'écologie, à l'hygiène alimentaire et la qualité des produits, les documentaires consacrés au monde paysan se sont multipliés. L'un des documentaires fleuves consacré à cet univers à la fois rude, touchant et sur le déclin est celui en trois parties de Raymond Depardon, Profils paysans. Le troisième volet est sorti en 2008 sous le titre La Vie moderne. On trouve également Les Brebis font de la résistance de Catherine Pozzo Di Borgo, qui évoque la vie des éleveurs de brebis, qui s'opposèrent farouchement à l'armée dans les années 70 sur le plateau du Larzac, avec à leur tête un certain José Bové. Citons aussi Yvette bon Dieu !, qui retrace le parcours et la vie d'une fermière de 62 ans; ou encore Dernière saison de Raphaël Mathié, qui suit Jean, un paysan vivant seul et sans descendance sur un plateau d'Auvergne, avec ses vaches.
L'oeuvre de Gaston Couté aurait facilement pu tomber dans l'oubli et l'indifférence la plus totale, comme la plupart des poètes de son époque. Mais de nombreux interprètes ont heureusement fait perdurer ses chansons et ses poèmes. Parmi eux Edith Piaf ou Bernard Lavilliers. Reconnaissance posthume à un authentique chanteur populaire, c'est-à-dire qui émane du peuple. Couté n'est pas un auteur qu'on lit mais qu'on écoute, c'est un poète de l'oralité. Il employait le parlé local, le patois beauceron, pour mieux exprimer le sort de ceux dont il partageait les luttes. Sur les 125 poèmes retrouvés, la moitié sont écrits en patois beauceron.
Né en 1880 à Beaugency (dans le Loiret) d'un père meunier, le jeune Couté grandit dans la petite ville de Meung sur Loire, déjà célèbre grâce à l'auteur du roman de la rose, Jean Chopinel, dit "Jean de Meung". Il fréquente les bancs de l'école de la ville avant d'aller au Lycée Pothier d'Orléans. En 1896, les éditions de la "Meunerie Française" publient le premier récit de Gaston Couté. En 1898, il devient reporter pour le journal "le Progrès Loiret", et se met à écrire de la poésie. A l'automne 1898, il quitte sa Beauce natale pour rejoindre le quartier de Montmartre à Paris. Dès ses débuts au cabaret "Al Tartaine", ses textes et sa langues font forte impression au public. De 1902 à 1905, son nom s'affiche sur la façade du célèbre cabaret "au Lapin Agile", sur celle de "L'âne rouge", du "Carillon", du "Pacha noir"...autant de lieux célèbres à l'époque. Couté perpétue ainsi la tradition médiévale de la chanson de gueux. Du gueux truand, mendiant ou artiste, pour qui la pauvreté a les traits de l'injustice mais où le fatalisme fait place à la révolte.
A partir de 1905, le vent tourne. La France amorce un net tournant vers des valeurs conservatrices et militaristes. Les portes des cabarets se ferment. A la misère courante s'ajoute une santé qui se dégrade, avec pour seule médecine une posologie quotidienne et appuyée d'absinthe (surnommée "Fée verte"). En 1910 alors que la tuberculose s'est installée et que l'argent manque pour se soigner, le rédacteur en chef de "La Guerre Sociale", Gustave Hervé, l'engage pour composer une chanson militante par semaine. Malgré un ordinaire qui s'améliore, la maladie progresse inéluctablement. Le 28 juin 1911, le poète meurt à 31 ans à l'hôpital Lariboisière à Paris. Il est enterré le 1er juillet au cimetère de Meung sur Loire. Une rue porte son nom à Montmartre.