Pour faire le portrait d'un oiseau
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger ...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
Voilà, rien de plus à dire. Prévert préfigurait déjà de l'arrivée de la princesse Kaguya sur Terre. Parce que même si ça peut paraître niais, c'est exactement ce qu'a fait Takahata. Dire que je ne suis pas allé voir ce film au cinéma par flemme de traverser la rue, parce qu'il durait plus de deux heures, parce que j'avais détesté Pompoko... Quelle erreur ! Lorsque j'étais plus jeune, comble de l'originalité, le tombeau des lucioles m'avait fait pleurer quasiment tout le long durant, mais c'était un film très dur, surtout lorsqu'on le voit enfant... Et là Takahata a réussi la même... mais avec un sujet beaucoup plus simple, beaucoup plus universel, beaucoup plus beau et le film en est d'autant meilleur. C'est ça que j'aime au cinéma, vibrer parce que c'est magnifique ! Vibrer parce qu'on est en présence de quelque chose de rare qui peut se briser à chaque instant, venir rompre l'harmonie parfaite... Et c'est ce que le film propose pendant plus de deux heures qui en paraissent beaucoup moins : l'harmonie parfaite... On est à la fois dans le conte, dans la romance, dans le drame, il y a un peu de comédie aussi... Tous les enjeux sont là, devant nous, quelque part on sait plus ou moins ce qui va se passer, parce qu'on est dans le conte et que la structure est connue... et ça ne fait que renforcer le fatum lorsqu'on a compris la fin...
Si j'ai pleuré ce n'était pas parce que c'était triste, mais parce que c'était incroyablement beau et c'était incroyablement beau parce que c'était vrai... Vers la fin du film je savais que peu importe la fin je ne serai pas content car le film s'arrêter... Et que peu importait la princesse, ce qu'il allait advenir d'elle, elle allait nous quitter, elle allait me quitter. Et ça c'est magique, c'est au-delà du sublime...
Je n'ai même pas envie de parler des choix esthétiques du film tant c'est peu important, tant c'est juste le support de cette histoire magnifique d'une limpidité et d'une fluidité totale. Et contrairement au dernier Miyazaki qui m'avait profondément ému à plusieurs reprises également mais lors de scènes précises... Là ce n'est pas une scène qui m'a ému, c'est l'intégralité du film, c'est un tout qui fait corps... C'est juste bouleversant !
J'aime le côté où on est typiquement dans le conte, avec les prétendants qui ont chacun une quête, puis on a un récit enchâssé... Il n'y a plus universel comme récit, la princesse rebelle qui ne veut pas se marier... Qui aspire à quelque chose de plus grand... Et c'est traité magnifiquement, souvent ce genre de passages est d'un pénible, insupportable... parce que le réalisateur en fait des caisses, là pas besoin, tout est dit calmement, sans en faire trop, avec une grande subtilité, on comprend tout, pas besoin d'en faire plus... Et ça conduit à cette fin, mais qui est d'autant plus belle qu'elle tranche totalement avec la scène précédente qui est d'un beauté folle...
On est en présence d'un Au Hasard Balthazar où les personnages garderaient leur âme d'enfant... Et j'aime profondément ces deux films pour des raisons du coup différentes, mais tellement proche, c'est juste sublime parce que ça touche à tout ce qui fait que lire de histoire est un baume au coeur, soulageant d'un monde trop triste.
C'est une production totalement à contre courant, qui ressemble à mille choses tout en étant unique, les influences sont extrêmement bien digérées ! En tous cas je suis tout chamboulé... Il y a des films qui m'émeuvent profondément sur le coup, en y repensant, mais qui sont dans la dureté, dans l'austérité (et ça me trouble d'autant plus qu'ils sont austères et que tout à coup la tendresse resurgit, c'est pour ça que j'adore Dumont), mais des voyages comme ça, je ne sais pas si j'en ai déjà fait. Le fait que ça soit aussi pour les enfants invite à cette grande simplicité sans pour autant prendre à un seul moment le spectateur pour un incapable limité intellectuellement et ça fait tout... Jamais un malotru défaillant cognitivement ne pourra venir dire que ça se prend la tête, que c'est un truc de bobos ou que sais-je... c'est juste du pur cinéma, du cinéma intelligent, pour les enfants, les adultes, pour tout le monde et qui est la preuve qu'on peut toucher tout le monde sans faire dans le racolage sans être putassier... Parce que le cinéma c'est ça : l'émotion !
La seule incertitude qui demeure est s'il est le meilleur film de l'année ou non... Le duel avec P'tit quinquin est serré...