Pour la première fois depuis vingt ans, un film se tourne au Nicaragua et plus précisément à Managua, sa capitale située sur les bords d'un lac du même nom proche de l'Océan Pacifique. Guerres, catastrophes naturelles ou révolutions avaient fait tomber ce pays dans l'oubli de la production audiovisuelle et, a fortiori, de sa représentation mondiale. C'est grâce à la documentariste française Florence Jaugey, installée depuis plus de vingt ans dans un pays où son oeil averti s'est développé à travers divers travaux et documentaires, que cette "erreur" se voit gommée.
En réponse aux efforts d'une production qui a su dépasser l'urgence et la précarité d'un tournage que seuls la solidarité et l'enthousiasme de l'équipe ont permis de voir aboutir, et face au caractère exceptionnel de cette démarche nouvelle ; le public local a reservé un véritable plébiscite à cette inédite réalisation sur et par leur propre pays. A sa sortie, le film s'est ainsi classé devant tous les divers "blockbusters" et a créé une véritable effervescence dans un pays tout heureux de (re)découvrir son cinéma.
Devenue Nicaraguayenne d'adoption au fil des ans, c'est en tant que citoyenne à part entière que ce film a été voulu par la réalisatrice. Après plus de dix ans d'âpres négociations dans l'élaboration du budget, Florence Jaugey est finalement parvenue à monter son projet, portée notamment par un message d'espoir qu'elle a voulu délivrer au public, et particulièrement à la jeunesse jusque-là laissée pour compte : "J’ai été très impressionnée par la lecture d’un article dans lequel il était mentionné que 70% des jeunes Nicaraguayens auraient préféré naître dans un autre pays", annonce-t-elle. Avant de poursuivre son explication : "Les images et les histoires reçues ici sont importées et véhiculent des modèles de vie et des valeurs différentes (...), Je voulais faire un film contemporain dans lequel la jeunesse du Nicaragua se sente représentée."
Élaborer un casting complet dans un pays où la production audiovisuelle est quasi nulle peut s'apparenter à une gageure mais la réalisatrice a su s'appuyer sur son expérience pour composer un astucieux mélange de professionnels et d'amateurs. "Il y a beaucoup de personnes qui jouent leur propre rôle : les entraîneurs et les boxeuses, les gens du cirque, les policiers. (...) Ce mélange d’expériences vécues et professionnelles a été bénéfique. Tous apprenaient les uns des autres avec un grand respect et une vraie curiosité." Elle a ensuite un mot plus long au sujet de l'actrice principale Alma Blanco, dont c'est le premier film : "Elle est danseuse professionnelle et bien sûr cela l’a aidée dans la préparation physique (...), mais elle a en plus un talent fabuleux. (...) Je l’avais repérée lors du film de Ken Loach, Carla's song dont j’avais fait le casting. (...) J’ai écrit le rôle en pensant à elle. J’espère qu’elle pourra continuer dans cette voie."
Spécialisée dans les documentaires avant ce film, la réalisatrice explique son envie de changer d'expérience, elle qui a commencé dans le métier en tant que comédienne. "J’ai toujours été attirée par le fait d’interpréter ou de raconter des histoires," confesse-t-elle. Avant d'adresser une véritable ode à sa passion du cinéma : "Pour moi, la fiction et la réalité sont intimement liées. Je m’inspire de la réalité et la fiction me donne la liberté de la transformer selon mes objectifs. C’est le rêve. C’est le Cinéma !"
Être réalisateur de documentaires est peut-être un véritable sacerdoce, surtout dans un pays marqué comme l'est le Nicaragua, mais cela permet également d'avoir un œil à part quant à la construction d'un récit narratif. Et l'exigence d'un contenu réaliste voulu par la réalisatrice y trouve alors une crédibilité certaine, venant d'une femme depuis 20 ans sur les routes, à la rencontre des gens: "Tout ce qui se passe dans le film est vrai. Je l’ai vu, entendu, partagé, ou vécu lors des tournages (...) qui m’ont permis de connaître la réalité des gens ordinaires." Elle explique ensuite l'élaboration de son histoire : "J’ai tissé mon histoire à partir de toutes ces anecdotes et moments de vie qui m’ont été confiés et qui reflètent la lutte quotidienne des Nicaraguayens pour que demain soit un jour meilleur."
La Yuma a obtenu de nombreuses récompenses, comme celle de la Meilleure actrice au Festival de Guadalajara (Mexique), au Festival de Malagua (Espagne) et au festival des Rencontres du Cinéma du Sud Américain (Marseille) pour Alma Blanco. Le film a également reçu la Mention Spéciale du Jury au Festival International du Nouveau Cinéma Latino américain, le Prix Spécial du Jury au Festival de Malagua en Espagne et le Prix du meilleur Premier Film au festival de Guadalajara (Mexique).