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    A Scene at the Sea
    Anecdotes, potins, actus, voire secrets inavouables autour de "A Scene at the Sea" et de son tournage !

    Chef d’oeuvre méconnu

    A scene at the sea est le chef d’oeuvre méconnu de Kitano. Il faut voir cette oeuvre à la fois simple, fascinante et émouvante comme le premier grand tableau cinématographique de Kitano. On en saisit toute la beauté sur un écran de cinéma. Il faut se perdre devant ses images immobiles de mer et de plage et ses portraits aux couleurs vives. Le sujet du film n’est pas le surf, mais l’amour, l’amitié, la volonté de sortir de sa condition et de dépasser ses handicaps. C’est aussi un film sur la douceur de vivre et les moments simples que l’on passe entre amoureux, à ne rien faire d’autre que regarder la mer. Sans jamais avoir recours à la facilité, Kitano construit par petites touches, de façon impressionniste, une histoire d’amour bouleversante.

    A scene at the sea dans l’oeuvre de Kitano

    A scene at the sea est le troisième film de Kitano. Il se situe exactement entre Jugatsu (1991) et Sonatine (1994), avant que celui-ci n’accède à la reconnaissance internationale au Festival de Cannes. Après le sauvage et ultra noir Violent Cop, qu’il reprit des mains de Kinji Fukasaku (Battle Royale), Kitano élabore plus précisément son style unique avec Jugatsu. On y découvre un jeune homme naïf, qui travaille dans une station-service et joue au base-ball dans une équipe de troisième ordre. Par hasard, il déclenche une guerre des gangs. Déjà, Kitano ne cesse de jouer avec les codes du film de yakuza (un des grands genres populaires du cinéma japonais), en y insufflant de l’absurde, des gags inattendus et de la poésie.

    Avec A scene at the sea, Kitano tente de briser son image de cinéaste de film noir en décrivant une simple histoire d’amour. Il revient sur la plage de Jugatsu où le yakuza, la jeune fille et le garçon jouaient au base-ball avec des troncs d’arbre. Comme dans Sonatine et Hana-bi, la plage de A scene at the sea est l’image d’un paradis perdu. C’est un espace ludique et enfantin, loin de la violence et des codes aliénants des gangsters. En s’essayant au mélodrame et en prenant comme personnages deux coeurs purs, Kitano dévoile cette veine tendre et sentimentale qui en fera un cinéaste universel. C’est dans l’histoire d’amour entre Shigeru et Takako qu’il faut chercher les prémisses du voyage sentimental des époux de Sonatine, de l’escapade du gangster et du petit garçon de L’Eté de Kikujiro ou de la passion pour la peinture du héros d’Achille et la tortue.

    A scene at the sea par Kitano

    Takeshi Kitano revient sur l'élaboration de A scene at the sea : "Après un deuxième film violent, j’ai voulu changer de registre et tenu à réaliser une histoire d’amour pur. Ce fut A scene at the sea, un film que certains critiques ont jugé « mystique » alors que je crois qu’il est plutôt « initiatique ». C’est un film qui parle aussi de la mort. Des critiques ont jugé ce film plastiquement maîtrisé. Des chroniqueurs, des fans, des spectateurs, ont loué la beauté des images. J’ai fait vraiment l’effort de soigner au maximum la perfection des cadres, dans lesquels je m’étais autorisé des travellings assez rares, originaux, pour filmer les déplacements des personnages. Lors d’un tournage, il peut m’arriver, même fréquemment, de prendre une certaine liberté avec le scénario. J’aime bien privilégier l’improvisation. Quand je suis derrière la caméra, je chasse du champ les éléments qui ne m’intéressent pas. Tout va très vite. Je filme de façon assez rapide, presque déterminée, je dirais."

    La mise en scène kitanesque

    Kitano évoque son travail sur la mise en scène dans A scene at the sea : "J’aime multiplier les plans longs et fixes. Pas de recours au zoom ni de plongée. C’est assez évident dans A scene at the sea, pour lequel j’ai beaucoup filmé par plans fixes successifs, et jamais zoomé pour ne pas donner trop de détails sur une situation ou sur un personnage, sur l’expression de son visage, son état d’esprit. Pendant le tournage, les techniciens voulaient manoeuvrer davantage la caméra, je n’y tenais guère. Je tenais à mes cadres statiques. Je pense qu’un plan fixe amène au contraire une part de mystère, une restitution brute que j’apprécie. Je crois que chacun de mes plans est le résultat d’une « équation psychologique ». Au fil des scènes je m’arrange surtout pour laisser au spectateur le soin de se faire sa propre idée, celle qui va lui sembler la meilleure et lui amener le maximum de réconfort, de plaisir. La recherche du divertissement est une obsession. Dans ce film, la mer, l’écume, le rythme des vagues en arrière-plan, le ciel bleu ou nuageux, ainsi que la lenteur recherchée de l’action ont pu bercer et emballer quelques spectateurs ; ce sont de toute évidence des effets esthétiques susceptibles d’émouvoir", explique le cinéaste.

    Entre Kurosawa et Ozu

    Dans A scene at the sea, l’histoire de Shigeru et Takako est racontée en images fixes, comme un défilement de diapositives : la plage et l’horizon rectiligne, les groupes de surfeurs assis sur le sable, les portraits face à la caméra. Lors des quelques séquences de surf, celles-ci sont filmées du point de vue de la plage. Bien que Kitano ait avoué se sentir plus proche de Kurosawa que d’Ozu, c’est de la ligne claire de l’auteur du Goût du saké qu’il se rapproche le plus ici. Shigeru et Takako sont les héritiers de ces vieux parents qui s’asseyaient face à la mer dans Voyage à Tokyo. Ils étaient au seuil de la mort et de la séparation et contemplaient le vide et l’immensité. Kitano, collectant les instants d’une histoire d’amour belle et triste, possède la même simplicité métaphysique qu’Ozu.

    "En fait plutôt que les dialogues des acteurs, ce sont plutôt les images qui me viennent à l’esprit, comme des diapositives que j’alignerais. Un peu comme au théâtre d’images (Kamishibai) où, avec le même aplomb, en 10 images, on vous raconte l’histoire de Taro Urashima. (personnage d'un conte japonais)."

    Le temps de l’innocence

    Kitano a le pouvoir d’arrêter le temps. Sur la plage d’Okinawa, des yakuzas livrés à eux-mêmes se conduisaient comme des gamins et jouaient à des jeux absurdes. À l’intérieur d’un violent film noir, Kitano ouvrait un temps innocent, celui de l’enfance. Dans A scene at the sea, le temps est dicté par la pratique du surf mais plus encore par l’attente. La performance sportive et sa représentation ne sont jamais l’enjeu. Nos surfeurs japonais passent l’essentiel du film à scruter la mer dans l’espoir qu’une petite vague apparaisse. Ce temps, qui n’appartient pas à la société et au monde du travail, c’est aussi celui du plaisir de ne rien faire et d’être ensemble. A scene at the sea est comme un road movie immobile.

    L’oeil du peintre

    Hana-bi a révélé les talents de peintre de Kitano, mais ceux-ci étaient présents dès A scene at the sea dans la composition de ses images et la perfection des cadrages, mais aussi dans le choix des couleurs. On se souvient des chemises hawaïennes des yakuzas de JugatsuSonatine et de L’Eté de Kikujiro qui sont comme des taches rouges éclatantes. Ce bariolage se retrouve dans les peintures naïves de Kitano avec leurs grands fonds de couleurs et leurs personnages enfantins. A scene at the sea fait preuve de la même audace en habillant ses surfeurs de combinaisons bleues, rouges, jaunes fluo et vertes Ces tenues, qui sont celles des surfeurs du monde entier, n’ont a priori aucune qualité esthétique. C’est comme si Kitano disposait sur la plage de petites touches de couleurs vives. Lorsqu’il filme Takako avec son pull à rayures bleues, blanches, orange et roses, sous un parapluie bleu lui-aussi, Kitano réalise un portrait délicat de la jeune fille. Un plan d’ensemble en fait la seule tache de couleur au milieu de la plage devenue grise. Shigeru est mort et le deuil est tombé sur le sable. Pour Kitano, les couleurs servent à peindre les émotions.

    Claude Maki alias Shigeru

    Kuroudo "Claude" Maki (Shigeru) est né en 1972. Il commence sa carrière comme… champion de surf. Il obtient en 1989 le prix du meilleur jeune acteur aux Japanese Academy Awards pour sa prestation dans Buddies. A scene at the sea est son second film auquel il apporte sa beauté solaire, son calme mais aussi sa détermination. Il alterne par la suite les rôles pour le cinéma (Detective Story de Takashi MiikeAniki, mon frère de Kitano) et les séries télévisées (Harunobu où il incarne un seigneur de guerre). Claude Maki pratique encore le surf et possède par ailleurs une collection de combinaisons et d’accessoires. Il est également connu comme chanteur de hip-hop sous le patronyme d’Aktion.

    Des personnages en marge

    Avec Kids return, A scene at the sea est le second film dans lequel Kitano ne joue pas (Dolls sera le troisième). Ce sont aussi les deux films qu’il a dédié à la jeunesse. Kitano posait sur les deux garçons de Kids return, un regard dur mais surtout attristé de voir une jeunesse partir à la dérive et faire les mauvais choix. Si Kitano a nié avoir tourné un film autobiographique avec Kids Return, les héros de A scene at the sea lui ressemblent sans doute davantage. Ce ne sont pas des idiots ou des voyous, mais des poètes, des rêveurs qui regardent la mer. Kitano a quelque chose d’un enfant toujours dans la lune, et c’est cela qui lui fait chercher la part d’innocence chez les yakuzas. C’est cela qui le pousse aussi à vouloir s’évader du Japon et de sa société par l’art, que ce soit la peinture ou le cinéma. Shigeru est un garçon doux et sans histoire que son handicap met en marge de la société.

    C’est sur son parcours d’éboueur qu’il trouve la planche de surf cassée qu’il rafistole pour affronter ses premières vagues. Le quotidien, même médiocre, n’empêche pas de se prendre à rêver. Cette planche (de salut) est ce qui lui permet de s’échapper de son quotidien. Alors qu’il ne vient plus au travail et passe ses journées sur la plage, son équipier vient le chercher comme un enfant qui fait l’école buissonnière et l’oblige à travailler en combinaison de surf. Ce collègue de travail, qui s’inquiète sincèrement pour Shigeru, est aussi un homme âgé effectuant un travail harassant. Pour que Shigeru puisse participer à une compétition, il effectue généreusement seul la tournée. L’autre figure paternelle est le coach de la petite équipe de surfeurs. Prenant soin de Shigeru, il se fâche contre les autres surfeurs qui ne l’ont pas prévenu qu’il était appelé lors de la compétition. Travailleurs en bas de l’échelle sociale, glandeurs, handicapés, tels sont les personnages sur lesquels Kitano choisit de s’attarder.

    Hiroko Oshima alias Takako

    A scene at the sea est l’unique film de Hiroko Oshima, née en 1973. Nul ne sait ce qu’est devenue cette jeune fille à la personnalité très attachante. Kitano se souvient des larmes de la jeune actrice.

    "Au cinéma, il y a aussi des aspects cruels. Pour la scène finale de A scene at the sea, je voulais que l’héroïne pleure. Hiroko Oshima était d’accord pour faire son possible mais dès que la caméra tournait, elle n’y arrivait pas. Comme l’assistant réalisateur commençait à perdre patience, le manager de la fille se dit qu’il faut faire quelque chose. Il l’emmène à l’écart pour la sermonner, et voilà qu’elle se met à pleurer pour de bon. On nous avertit : « Hé ! Regardez, elle pleure. » Et tout le monde de met à courir vers elle à toute jambe en disant : Profitons de ce qu’elle pleure pour la filmer !"

    Hommage au cinéma muet

    Le duo comique The Two Beats (c’est de là que vient le surnom « Beat ») que Kitano formait avec Niro Kaneko (Beat Kiyoshi) était connu pour ses dialogues survoltés. Comme s’il avait voulu déjouer ce qu’on attendait de lui, les films de Kitano sont au contraire laconiques, avec de longues plages de silence dans lesquelles s’inscrivent la musique de Joe Hisaishi. En faisant de ses deux héros des sourds-muets, Kitano fait du silence l’un des éléments majeurs du film. Avec ses dialogues ne tenant que sur quelques pages, A scene at the sea est un hommage au cinéma muet. Kitano est le vrai nom de famille de Takeshi mais on croit entendre celui de son comique préféré : Buster Keaton. Surnommé l’homme qui ne rit jamais, Keaton gardait un visage imperturbable au milieu des pires catastrophes. Si Kitano sourit parfois, il conserve le plus souvent un visage de marbre, même au milieu des massacres de gangs yakuza. Seul son tic à la joue, totalement intégré à son jeu d’acteur, agite son visage.

    Les deux jeunes héros de A scene at the sea, sont eux-aussi impassibles et n’utilisent d’ailleurs jamais le langage des signes. Ils communiquent mystérieusement par le regard et de légers sourires. Bien qu’elle ne surfe pas, Takako participe à la passion du garçon, l’accompagnant à la plage et l’aidant à porter l’arrière de sa planche. Shigeru a le regard braqué sur l’océan et Takako ne voit que Shigeru. Alors qu’il s’élance dans la mer, elle replie sagement les affaires du garçon. C’est ainsi que Kitano, avec douceur et mélancolie, construit la relation exclusive des deux amoureux. Ce qui va les séparer est une chose contre laquelle Takako est impuissante : le désir d’évasion du jeune homme. Ce désir est à la fois physique, puisque son handicap le fait vivre dans une prison de verre, et spatial puisque la mer est la frontière infranchissable du pays. Son travail d’éboueur le renvoie à une condition sociale sans avenir. Le surf va être l’occasion de dépasser ces trois prisons. La vague lui permet d’évoluer de l’autre côté de la frontière géographique même si ce n’est qu’à quelques mètres. Devenu un surfeur il n’est plus un handicapé ni un éboueur. Plus qu’un récit d’apprentissage du surf, A scene at the sea est le film initiatique d’un jeune homme à la recherche de lui-même.

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