Curieuse fascination que suscite chez moi Fargo, phénomène marquant de la filmographie inégale et fantastique, majoritairement, des frères Coen. Oui, les années 90 auront été marquées par des cinéastes comme ceux-ci, tournant comme tous les autres mais avec une vision sur le produit toute différente, loin de l’aspect commercial, intellectuel ou philosophique. Les frères Coen délivraient et délivrent encore des films qui leurs appartiennent pleinement, pour ainsi dire qu’ils font ce qu’ils veulent sans trop se soucier d’autrui. Si parfois ça casse, en d’autres occasions, cela fait merveille, comme ici avec Fargo, film incomparable qui parvient à happer l’attention du public pour ne jamais la lâcher.
C’est peut-être le climat, les étendues austères du Minnesota du Nord qui rendent Fargo si étrange. Dans un premier temps, l’acclimatation à un univers neigeux, plat et brumeux donne des frissons. Le temps et les paysages maussades n’auront d’égaux que la bêtise, le désespoir des personnages, tous diablement bien interprétés. Certains sont excessivement bavards, d’autres presque mutiques. Certains sont forts d’autres faibles, mais tous ont deux points communs, le désespoir et la stupidité. Aurez-vous le courage d’en rire? Un slogan sur l’affiche qui interroge le public alors que celui-ci fait face à des personnages s’enfonçant toujours d’avantage. Rire ici de William H. Macy, Steve Buscemi ou Peter Stormare relève d’un très fort penchant d’humour noir, et l’on adore ça.
Partant du coup monté de deux malfrats et d’un vendeur auto complètement à la ramasse, les choses iront de mal en pis à mesure que le temps passe, alors que les morts s’additionnent. Un film majestueusement interprété, sa force première, alors que les deux frangins ont écrits des dialogues d’une rare intensité, même si le film n’est pas excessivement bavard. Captivé par le décrépitude de la situation, j’ai été littéralement, dès le premier visionnage, subjugué par l’impression de désarroi que laisse filtrer le personnage de Jerry, formidable William H. Macy, par la bêtise tragi-comique du petit malfrat qu’incarne Steve Buscemi. Frances McDormand tient elle aussi la dragée haute à un casting masculin qu’elle renverse en prenant la place du policier, Shérif enceinte d’une bourgade neigeuse.
La musique y est également pour beaucoup dans l’appréciation de Fargo, tout simplement légendaire lors du générique d’ouverture. Je ne parviens toutefois pas à définir clairement ma fascination pour ce film, lyrique, amusant, violent et cruellement marrant, au sens propre comme au figuré. A l’image du Shining de Stanley Kubrick, Fargo fait partie pour moi de ce que j’appellerais le cinéma du rêve, celui qui ravît, qui jamais ne déçoit et qui fascine encore et encore, sans que l’on comprenne pourquoi. Un monument. 19/20