J'avais adoré le livre de Lionel Shriver qui racontait avec une grande simplicité et une parfaite linéarité le calvaire d'une mère qui donne le jour à un enfant qui incarne le mal. Et comme c'est impossible, qu'un enfant soit le mal incarné, elle cherche, désespérément, à comprendre, à savoir ce elle a fait de travers, où, pourquoi, comment. Bien sûr, elle aimait son travail, voyager, toutes choses auxquelles elle a du renoncer. Mais, dès l'arrivée de Kevin, elle s'est consacrée à son devoir de mère avec un zèle exemplaire.
Pendant sa première année de vie, Kevin crie, tout le temps. (Au point que le film nous montre Eva arrétant la poussette près d'un marteau piqueur pour que le bruit du marteau camoufle, un moment, les cris du bébé). Ensuite, il ne veut pas marcher, il ne veut pas jouer, il refuse toutes les sollicitations de sa mère, mais le diagnostic médical est sans bavure, non non, Kévin n'est pas autiste, juste un peu en retard pour certaines choses peut être. A sept ans, il faut encore lui mettre des couches. Mais plus il grandit, plus son hostilité à l'égard de la mère s'accentue: par exemple, quand elle recouvre de façon originale les murs de son bureau, il vient les saloper à grands coups de feutre et de peinture. Avec le père, Franklin (John Reilly) son comportement est presque normal, au point que celui ci ne veut pas voir que Kevin va mal. Quand arrive une petite soeur, Kevin ne manifeste pas d'aversion très apparente, mais il va lui faire du mal, subtilement, sournoisement, la traiter comme un chien au point que la pauvre petite pense qu'elle est très bête, tuer son hamster.... Et, avec la mère, un soin perpétuel, sans relache, mis à blesser, à rejeter, à ridiculiser tous ses efforts de rapprochement affectif. Et elle, toujours d'humeur égale, s'employant à demander, à solliciter, à comprendre....
Jusqu'au jour où ça finira très mal -comme à Columbine.
Kevin, avait t-il senti, dans sa vie intra-utérine, que sa mère ne le désirait pas vraiment? Mais tant d'enfants ont été ballotés dans l'utérus d'une mère désespérée, au bord de l'avortement, et sont devenus des chics types -bien incapables de massacrer la moitié de leur classe....
Pour en revenir au film de Lynne Ramsay, puisque c'est quand même de cela qu'il s'agit, il est très beau, estéthique, chic et choc, martelé par la couleur rouge. C'est un puzzle éclaté entre plusieurs époques un puzzle souvent difficile à suivre-la vie amoureuse des parents, puis le bébé, puis l'enfant de sept ans, de 16 ans, et après, quand Eva tente de survivre seule, vie rythmée par ses visites à Kevin en prison. Très chouette....sauf que toute la profondeur du livre a disparu. Tous les ajouts (dieu sait qu'il y en a!) qu'elle a fait pour mélodramatiser l'histoire, le surplus de gore à la fin, tout est mal venu.
Les enfants acteurs sont extraordinaires. Non seulement Ezra Miller qui incarne Kevin adolescent d'une façon qui vous fait froid dans le dos -oeil pervers, regard en dessous, sourire ambigu avec sa bouche de fille, mais aussi Jasper Newell, angelot bouclé de sept ans qui arrive, lui aussi, petite boule d'hostilité, à être vraiment effrayant. Tilda Swinton est évidemment très bien, même si j'aurais préféré voir Eva incarnées par une actrice plus ordinaire, moins typée.
Bien sûr que je vous conseille d'aller vous ce film. Cet excellent film. Nonobstant: Lynne Ramsay est une conne.