Le cinéma de Romain Gavras, s'il n'en est encore sans doute qu'à ses débuts, possède déjà une empreinte bien visible. L'intéressé évoque le point de départ de son inspiration, "un film libre autour d'un parcours initiatique", où les protagonistes étaient "comme des Don Quichotte lancés dans une quête vaine et désespérée" ; et son idée fixe, celle de ne pas trop expliquer, afin d'obtenir "un film de sensations, d'ambiances et d'émotions par touches où l'on se rend d'un point A à un point B en laissant le spectateur cheminer avec nos personnages".
Au-delà de la présence visuelle détonante du duo de personnages sur lequel repose le film, l'inédite didactique de Romain Gavras expose une identité symbolique bienvenue. S'il y a complémentarité des personnalités, c'est que leur histoire est comparable et n'est séparée que d'une génération. Cette génération qui les distingue. Ainsi celle de Patrick "a dépassé le stade de la révolte, (...) des post soixante-huitards qui voient leurs idéaux se décomposer", alors que celle de Rémy est le symbole d'une jeunesse contemporaine "qui brûle des voitures sans but politique mais parce qu'elle a toute les raisons du monde d'avoir la rage". Et chacun de trouver dans l'autre ce qu'il cherche: "Pour Patrick, c'est la capacité à raviver sa flamme. Et pour Rémy, c'est d'avoir enfin un but à donner à sa rage", explique le cinéaste.
Quand on lui demande la raison première de son choix, outre le fait d'une amitié réelle, Vincent Cassel pose un regard averti sur le travail de son compagnon de route Romain Gavras: il s'avoue fasciné par le professionalisme et les prises de positions créatrices d'un "débutant" à la réalisation qui lui a offert un rôle détonnant dans sa filmographie pourtant déjà bien remplie. "Jouer le contraste, se retrouver dans cet univers qui n'avait rien à voir avec mes films précédents. Je crois vraiment que Romain a de grandes qualités de metteur en scène et, qu'il le veuille ou non, il a une culture de cinéma contre laquelle il lutte encore parfois, mais qui est ancrée très profondément. On ne peut pas être le fils de Costa-Gavras impunément", commente t-il.
Amis depuis longtemps via la création de Kourtrajme que l'acteur a toujours accompagnée, Vincent Cassel avait mis un point d'honneur à faire partie de l'aventure de cette première réalisation de Romain Gavras. Une fois le projet établi, il a assuré de son soutien le jeune réalisateur, en se portant garant de la production et a conféré à son protégé une liberté de création essentielle. "On a fait le film en fonction de cela. Garder sa liberté voulait évidemment dire qu'il fallait rester dans une gamme de prix qui nous le permette", confesse-t-il. "Je savais qu'on aurait toujours un film où il y aurait une certaine dose d'abstraction, et il n'a jamais été question de changer ça. C'était un choix."
Pour mener à bien l'intrigue, l'espace et le temps se devaient d'être indécis, flottants "pour ouvrir l'imaginaire, dégager les perspectives", explique Romain Gavras. Le Nord de la France a été choisi et, lors du tournage, la "puissance des grandes steppes irlandaises" lui est devenue tellement sensible qu'il confesse même s'être senti telle Emily Brontë écrivant Les Hauts de hurlevents.
La relation qui lie une partie majeure de cette équipe n'est pas feinte, un passé ancien (Kourtrajme, Sheitan) reliant une même communauté d'esprit. Cela explique ainsi l'implication totale mis par chacun dans le projet. "Je pense que le personnage mi-dandy, mi-looser, mi-flamboyant, mi-désésperé a beaucoup plu à Vincent et qu'il a commencé à vivre le truc. Pendant tout le tournage, il était dans son personnage à prendre la tête à Olivier", confie le metteur en scène. Cohabitant ensemble à Dunkerque, Olivier Barthelemy et Cassel ont en effet eu une relation ambiguë. Les acteurs sont en fait tous rentrés dans leur personnage en dehors du tournage, une aubaine pour Gavras : "il y avait une vibration très étrange, mais c'était jouissif pour moi", confie t-il.
La stigmatisation d'une communauté rousse n'est pas le point de départ du récit dans l'esprit du réalisateur. Elle n'est devenue le motif adéquat qu'en cours d'écriture, une fois actées les raisons de ce choix. "Ça rendait Rémy et Patrick encore plus iconiques et donc universels", explique-t-il, " à condition qu'on en parle jamais "frontalement" (...), et "de ne pas tomber dans la blague." Et finalement, cela s'est transformé en anecdote, un outil narratif détourné: " Au final, ils ne sont même pas vraiment roux pour accentuer leur fantasme sur une communauté qui n'existe que dans leur esprit", commente le réalisateur.
A rebours d'une certaine définition figée du "romantique" au cinéma, celle, toute personnelle, de Romain Gavras lui permet de juger son film comme une "comédie romantique désespérée". Pour ce qui est de la comédie, il faut voir "l'humour de la première partie". Et quant au romantisme, voilà l'explication : " Pour moi des mecs qui ont le crâne rasé et qui marchent sur une plage avec des voitures qui brûlent, c'est romantique." Tout simplement.