La Folie Almayer est l'adaptation du roman éponyme du romancier britannique Joseph Conrad. Il s'agit du premier ouvrage de l'auteur. La faute, la perte, la rédemption, l'autre, tous les thèmes chers à l'écrivain sont déjà cristallisés dans cette œuvre.
L'idée du projet La Folie Almayer est venue à Chantal Akerman à la suite d'une sorte de choc. Alors qu'elle finissait de lire le roman éponyme de Joseph Conrad, la réalisatrice a visionné le film Tabou de Friedrich-Wilhelm Murnau. Pour elle, c'est avant tout la beauté et la simplicité de ce long métrage, abordant un paradis troublé par un prédateur, qui ont résonné avec l'œuvre de Conrad.
La Folie Almayer a été tourné à la manière d'un documentaire. Chantal Akerman raconte : "Je ne regardais pas le plan de travail le matin, rien n’était de l’ordre du devoir et je tournais en pyjama. Les mises en place étaient improvisées le jour même". Pour la réalisatrice, l'idée était de recueillir ce qui se passait et de ne rien imposer aux comédiens.
A l'image de La Captive (un autre long métrage signé Chantal Akerman), La Folie Almayer est un film anti-romantique, ce qui a permis de contrecarrer l'ensemble des éléments mélodramatiques récurrents que l'on retrouve chez Dickens (Oliver Twist, etc.) par exemple, très présents dans l'œuvre originale de Joseph Conrad. Nina (Aurora Marion) est ainsi une personne incapable d'aimer, ce qui n'est pas le cas dans le roman. Chantal Akerman a cherché à donner un éclaircissement très personnel à ce personnage : "Lorsque Nina dit que son cœur est mort, c’est une reprise mot pour mot de ce que ma mère disait. Après la sortie des camps, son cœur était mort. Elle était belle, beaucoup de jeunes gens la courtisaient, mais elle ne ressentait plus rien. Alors un mélodrame aurait été déplacé", explique la réalisatrice.
Avec La Folie Almayer, on retrouve en filigrane, avec le couple père-fille, l'étrange relation des amants de La Captive. Une fois encore, c'est la rencontre entre deux névroses qui est mise en scène. Dans La Captive, Ariane nourrit en effet la névrose de Simon, et vice versa. Dans La Folie Almayer, le père et la fille représentent également ces deux facettes, et font office de métaphore de ce que la réalisatrice croit être. Des choix qui résonnent ainsi comme une quête d'elle-même pour la cinéaste.
Dans La Folie Almayer, un plan sur l'eau troublée par la tempête revient trois fois. Il semble condenser la ligne directrice du film, symbolisant la limite entre le rêve et la réalité. Sans logique réelle, certains plans sont ainsi placés les uns à côté des autres. Au spectateur de démêler le vrai du faux en ce qui concerne cette construction onirique.
Pour mener à bien l'écriture de son scénario, Chantal Akerman pensait dans un premier temps se focaliser sur ses moments préférés du roman. Finalement, elle a d'abord rédigé une scène qui n'existe pas dans le livre. Il s'agit de la séquence où Almayer et Lingard poursuivent Nina enfant. La réalisatrice explique son choix : "On peut penser à La Nuit du chasseur, mais je crois que c'est venu d'ailleurs. Quand mon grand-père est mort, la première chose que mon père a faite c’est de s’emparer de sa fille et de la jeter dans une école publique. Mais c’était pour lui un signe de sa propre émancipation, moi là-dedans je ne comptais pas. C’est peut-être venu de là."
La Folie Almayer met en scène l'histoire d'Almayer, un père pas comme les autres. Chantal Akerman n'a pas hésité à prendre à contre-courant les idées reçues, s'éloignant du stéréotype de l'homme qui cherche à être un bon père : "C'est sans doute pour cette raison que personne n'y croyait au départ", raconte la réalisatrice.
La Folie Almayer se rapproche d'une tragédie antique, de par ce débordement permanent de la nature et de l'excès. Nina, interprétée par l'actrice Aurora Marion, a également quelque chose d'une tragédienne grecque.