La parole à Merzak Allouache: "J'ai écrit cette histoire après avoir longuement travaillé à me documenter tant sur la base de témoignages directs, que sur des articles de presse, ou des rencontres diverses avec des jeunes concernant le problème dramatique et totalement nouveau que vit l'Algérie : le phénomène des clandestins surnommés "harragas" ou "brûleurs" qui fuient leur pays clandestinement pour échapper à la misère. Ce sont pour la plupart des jeunes gens, en Algérie les jeunes représentent plus de 80% de la population. Leur soif de vie est freinée par la difficulté du quotidien, du chômage et ils sont prêts à tout pour tenter de vivre ailleurs. Imitant les africains, les marocains, les tunisiens, des centaines de jeunes algériens franchissent régulièrement la méditerranée au risque de leur vie. Lorsque j'ai commencé à écrire mon scénario, j'étais loin de me douter que ce problème allait prendre une telle ampleur pour devenir "une préoccupation nationale" censée interpeller les plus hautes autorités algériennes. Malgré des départs de plus en plus nombreux, des corps sans vie repêchés chaque semaine, des articles de presse virulents, la constitution d'associations de parents de jeunes disparus en mer, aucune véritable solution humaine et politique n'est envisagée pour circonscrire ce phénomène qui touche un pays pourtant riche par sa rente pétrolière. La répression est telle qu'un jeune clandestin risque aujourd'hui cinq ans de prison pour tentative de traversée illégale de la méditerranée."
Harragas a entre-autre remporté le Prix Spécial du Jury et le Prix des Droits de l'Homme au Festival du film de Dubaï, ainsi que le Palmier d'or et le Prix de la meilleure BO au Festival de Valences, en Espagne.
Le mot Harragas, originaire de l'arabe algérien harraga, veut dire "brûler". Merzak Allouache, réalisateur du film, ajoute : "partir, cela s'appelle brûler, brûler ses papiers, brûler les frontières, brûler sa vie s'il le faut mais partir. Avant de partir les clandestins brûlent leurs papiers d'identité pour que les gardes-côtes ne puissent pas savoir qui ils sont ni d'où ils viennent. Ils prennent la mer depuis l'Afrique du nord, la Mauritanie, le Sénégal sur des Pateras (embarcations de fortune) pour rejoindre les côtes andalouses, Gibraltar, la Sicile, les Canaries, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, l'île de Lampedusa ou encore Malte."
Pour Merzak Allouache, ces nouveaux Boat People sont le symbole du drame que vit actuellement la jeunesse algérienne. "Elle est tiraillée entre l'islamisme radical qui crée le kamikaze, l'émeute collective qui embrase très souvent les villes et les villages, le suicide individuel ou la fuite en groupe par tous les moyens d'un pays qui semble figé et n'offre plus rien à ses enfants" explique-t-il avec amertume.
Mis en scène dans la région où se passe l'histoire racontée, le tournage s'est déroulé dans des décors naturels, (village, cité, criques, plages de Mostaganem d'où embarquent régulièrement les brûleurs) qui sont le théâtre réel des évènements. Merzak Allouache a par ailleurs casté de jeunes acteurs du théâtre de Mostaganem. La majorité des interprètes du film vient de cette région.
Avec Harragas, Merzak Allouache poursuit sa réflexion nourrit dans ses films, sur les rapports d'attraction-répulsion qu'entretiennent la France et l'Algérie depuis son indépendance, mais aussi sur le mal de vivre et les espoirs de la jeunesse algérienne, et plus largement maghrébine. On peut citer le choc des cultures dans la comédie légère Salut cousin !, portée par Gad Elmaleh; ainsi que dans Bab el web, où deux jeunes se surprennent à rêver et à fantasmer en chattant avec les filles étrangères sur internet. Chouchou s'inscrit aussi dans cette thématique sur les rapports entre la France et le Maghreb, bien que le personnage principal incarné par Gad Elmaleh ne soit pas algérien mais marocain. A l'opposé, il y a aussi le drame L'Autre monde, qui dresse le portrait d'une française d'origine algérienne, quittant Paris pour l'Algérie à la recherche de son fiancé dont elle est sans nouvelle depuis six mois.
Pour écrire le scénario de Harragas, le réalisateur s'est largement documenté. Avec les articles de presse bien sûr, mais pas seulement. Il a aussi rencontré de nombreux jeunes "sans-papiers" en France, des candidats potentiels à la fuite en Algérie, et des ex-harragas qui attendent l'occasion de repartir. "99% de ce que disent les personnages du film sont des phrases que j'ai entendues. J'ai aussi lu des contributions de chercheurs algériens qui travaillent sur le phénomène des suicides, des émeutes, des kamikazes et des harragas."