Gerboise Bleue, premier essai atomique français effectué le 13 février 1960 dans le Sahara à Reggane en Algérie, est le point de départ de la puissance nucléaire de la France. Il s'agit de tirs aériens radioactifs puissants effectués dans des zones appartenant à l'armée française, l'Algérie étant à l'époque un territoire français. Suivront des essais souterrains, et ce même après l'indépendance de l'Algérie.De 1960 à 1978, 30000 personnes auraient été exposées dans le Sahara. L'armée française a reconnu officiellement neuf irradiations. Aucune plainte contre l'armée ou le Commissariat à l'Energie Atomique n'a abouti. Trois demandes de commission d'enquête ont été rejetées par la commission de la défense nationale.
L'idée de ce documentaire est née en 2006 au détour d'une conversation familiale, lorsque Djamel Ouahab a appris que l'armée française avait fait des essais atomiques dans le Sahara algérien dès 1960. Quelques temps plus tard, en effectuant des recherches sur Internet, le réalisateur découvrit l'Aven, une association regroupant près de 3 000 vétérans français qui ont participé à ces essais atomiques dans le désert algérien entre 1960 et 1966. Aujourd'hui, ces derniers sont tous atteints de pathologies diverses (cancers, leucémie, problèmes cardiaques) liées à la radioactivité.
A la suite de cette découverte, Djamel Ouahab décida de rencontrer certains vétérans de l'Aven. "Leur histoire était bouleversante, confie le cinéaste. Ils me racontaient dans quelles conditions ils avaient participé à ces essais, les problèmes de santé qu'ils rencontraient aujourd'hui, et le combat juridique qu'ils menaient pour être reconnus comme victimes et indemnisés pour les dommages subis. Certains vétérans me parlaient des populations des Oasis, les PELOS (Populations Laborieuses des Oasis) comme on les appelait, qui travaillaient sur les sites et qui devaient être autant malades, sinon plus, du fait qu'ils n'avaient aucune protection et qu'ils étaient restés sur place sans aucun contrôle ni suivi médical."
En juillet 2006, Djamel Ouahab s'est rendu à Reggane, dans le Sahara, et rencontra les populations des Oasis : des gens simples, dignes et très fiers. "Ils me racontaient ce qu'ils avaient vu ce jour du 13 février 1960 à 7h04, se souvient-il. Un éclair dans un ciel immaculé qui avait scellé leur destin à jamais. De retour en France, je me sentis un devoir de mémoire à l'égard de mes deux pays que sont la France et l'Algérie, à l'égard des vétérans français, du peuple des Oasis, et de toutes ces petites gens qui souffrent dans la plus grande indifférence."
Djamel Ouahab explique ses intentions à travers ce film : "A l'heure actuelle, je souffre cruellement d'un manque d'informations sur l'Histoire qui a opposé la France à mon pays d'origine. Je vissur des fantasmes et des non-dits. C'est peut-être aussi ce passé, pesant sur la conscience de l'Etat français, qui me prive de cette reconnaissance et qui joue, inconsciemment, un rôle sur mes relations avec la société française en général. Précisément, à travers ce film, je veux également témoigner de cette relation. Cette rencontre entre ces victimes françaises et algériennes me paraît indispensable pour créer une passerelle entre ces deux pays, et éclairer certains des non-dits de l'histoire coloniale. Gaston, Gérard, Lucien, Salah, Mohamed et Ali sont des hommes unis dans l'adversité, des hommes frappés par l'histoire, qui nous parlent pourtant de paix, de solidarité et de pardon. Je veux suivre ces hommes dans leur lutte quotidienne. Gaston, Gérard et Lucien qui demandent reconnaissance et réparation à l'Etat français, Ali et Mohamed qui sensibilisent les populations des oasis sur le danger de la radioactivité et interpellent les autorités algériennes pour décontaminer les sites, et Salah qui demande la construction d'un hôpital pour soigner les cancers liées à la radioactivité. Par ailleurs, ce refus de la France de faire toute la lumière sur cette période de l'Histoire ajoute chez les vétérans français le sentiment d'avoir été trahis par leur patrie, pour laquelle ils étaient prêts à sacrifier leur vie. Ce sentiment d'abandon est très mal vécu par tous ces vétérans qui ressentent une profonde injustice qui a engendré des troubles psychologiques chez certains d'entre eux."
"Ce film voudrait représenter ce conflit intérieur, mais aussi un autre qui va bien au-delà des vétérans, poursuit le réalisateur. En effet, si l'Etat français veut oublier et maintenir secret cette partie de l'Histoire coloniale, comment reconnaître la population qui incarne cette histoire que ce soit les vétérans français ou les français issus de l'immigration ? A l'heure où l'on parle d'intégration, de discrimination positive, encore faudrait-il d'abord que l'Etat montre l'exemple et fasse preuve de transparence à l'égard de ses populations. Qu'il ait le courage d'affronter et de reconnaître son passé qui appartient à l'Histoire à présent. Ce passé refoulé de l'histoire coloniale doit être mis à jour et assumé dans l'intérêt de tout le monde."
Scénariste et cinéaste, Djamel Ouahab a été trésorier et membre actif de l'ACID (Agence du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) de 2000 à 2006. Il est intervenant réalisateur aux ateliers de la FEMIS en 2001 et au cours Florent de 2002 à 2003. Il a débuté derrière la caméra avec Cour interdite en 1999. Gerboise Bleue, réalisé en 2008, est son premier documentaire.