Cela faisait bien 10 ans que l'on était sans nouvelles de Bernard Rose. Le cinéaste anglais, né à Londres en 1960, s'est fait connaître dans les années 90 pour son film fantastique Candyman, qui a raflé plusieurs prix au Festival d'Avoriaz. Il a également ressuscité le célèbre compositeur Beethoven pour Ludwig Van B. (1994) avec Gary Oldman dans la peau du personnage avant de mettre en scène l'adaptation de Anna Karenine avec Sophie Marceau dans le rôle titre en 1997. Depuis, il a tourné en 2000 Ivans xtc., transposition du livre de Tolstoï La Mort de Ivan Ilyitch dans le Hollywood d'aujourd'hui, jamais sortie sur nos écrans français... Et puis plus rien, jusqu'à ce Mr. Nice.
A l'origine, Mr. Nice est un best-seller autobiographique écrit par Howard Marks, l'authentique "Mister Charmant" de la drogue. Né en 1945 dans un petit visage minier du Pays de Galles, il a étudié à l’Université d’Oxford et y a obtenu deux diplômes : un en Physique Nucléaire et un en Philosophie. Dans ce livre, Howard Marks affirme avoir utilisé 43 identités différentes, 89 lignes de téléphone et pas moins de 25 sociétés écrans. Ses liens avec la CIA, l'IRA, les Triades et la mafia lui ont permis de déplacer des tonnes de haschich et de brasser des millions de dollars pendant près de vingt ans. Il a été pourchassé par 14 pays différents et a finalement été arrêté par l’Agence Américaine de Lutte contre le Drogue. Marks a purgé ensuite une peine de 25 ans de prison en Indiana mais a été libéré sur parole en 1995 au bout de sept années de rétention. La presse le décrit comme « le baron de la drogue le plus sophistiqué de tous les temps ». A partir de 1997, il présente des one-man-shows où il revendique la légalisation et la dépénalisation du cannabis. Il écrit aussi pour des journaux comme The Observer, Daily Telegraph, ou The Guardian.
L’histoire d’Howard Marks intervient au moment où la drogue cesse d’être en marge pour devenir un phénomène de masse. Bernard Rose précise que l’interdiction du haschisch vient d’une idée lancée par l’ambassadeur égyptien dans le cadre d’une réunion de l’ONU. La plupart des membres de cette réunion ne savaient pas ce qu’était le haschisch, substance à l’époque que seuls les pays du Moyen-Orient connaissaient. A la fin des années 60, Richard Nixon a interdit la marijuana pour pouvoir arrêter légalement les étudiants qui manifestaient contre la guerre au Vietnam. Bernard Rose affirme d’ailleurs que la guerre contre la drogue est "un outil très utile pour le monde politique afin d’arrêter les dissidents ou les gens qu’ils considèrent comme hors des clous."
Bernard Rose admet que le scénario de Mr. Nice fut difficile à écrire car les péripéties décrites dans l'autobiographie de Marks sont extrêmement nombreuses. Ce qui a intéressé le cinéaste, ce sont les incidences du trafic de drogue sur la vie personnelle du personnage principal. Rose explique que "le film ne porte pas de jugement sur les actes d’Howard. Il montre l’absurdité du caractère illégal du haschich, et ses conséquences sur la création d’une économie parallèle qui nourrit le terrorisme et le crime. Au fil du temps, les hommes politiques ont confondu les questions de la législation et de l’addiction, qui sont très différentes. L’interdiction de fumer du hasch est un échec dans le monde entier. Mais le film traite aussi de la vie personnelle d’Howard." "Une fois que j’ai cerné ces deux enjeux, il était simple de structurer le scénario", conclut-il.
Lors de la préparation du film, Howard Marks a rencontré Sean Penn, en qui il voyait la personne idéale pour jouer son rôle. Mais Bernard Rose pensait plutôt à Rhys Ifans, acteur authentiquement "british" que Marks a fini par accepter.
Bernard Rose a tenu à ce que les passages du film où l’on voit Marks durant sa jeunesse soient également interprétés par Rhys Ifans plutôt que par un autre acteur ! Le cinéaste se justifie: "Rhys joue Howard Marks de l’adolescence à la quarantaine passée sans aucun effet de maquillage. Je ne voulais pas faire jouer un jeune pour le dépeindre dans sa jeunesse, parce qu’(…)une des clés de compréhension du personnage est qu’il est perpétuellement jeune d’esprit, comme marqué à vie par une forme d’innocence (…). "
Chloë Sevigny, actrice américaine, a dû apprendre à parler avec l'accent anglais pour interpréter son personnage d'épouse dévouée et impliquée dans le commerce illégal de Mister Nice.
Bernard Rose a tout de suite pensé à David Thewlis (qui joue Remus Lupin dans la Saga Harry Potter) pour faire partie du casting de Mr. Nice. Le cinéaste avait été marqué par l'interprétation de l'acteur anglais dans Naked de Mike Leigh.
Si le livre se déroule dans un grand nombre de pays, Bernard Rose a dû, pour des raisons de budget, faire des choix très précis pour les lieux de tournage du film. Il n’a tourné qu’au Pays de Galles et en Espagne. Au Pays de Galles, Rose a fait toutes les scènes censées se dérouler en Europe du Nord. En Espagne, il a tourné toutes les séquences qui ont lieu dans les pays chauds. Il a ainsi conservé du livre de Marks les passages au Pakistan et en Afghanistan, mais a évacué les déplacements du personnage en Thaïlande, en Inde, au Maroc, ou encore au Colombie.
Bernard Rose a décidé de tourner les scènes sans jamais les répéter. Il a filmé les acteurs sans qu’ils n’aient eu le temps de s’imprégner du texte et de la situation. " Il y a ce petit quelque chose qui en peut être senti que la première fois ", explique le metteur en scène. " On obtient ainsi une certaine énergie qui est irremplaçable. (…) Un aspect intéressant de ce processus est qu’on ne sait pas ce qui va se passer (…) Si vous voulez ruiner le travail d’un acteur, dites-lui ce qu’il doit faire ! ", affirme-t-il.
Bernard Rose a choisi d'exploiter des images d'archives plutôt que d'effectuer une reconstitution d'époque. L'intéressé explique qu'il a voulu utiliser les textures d'image pour se situer dans le temps: "Je n'ai pas voulu inscrire à l'écran l'époque et le lieu où chaque séquence se déroule, 'Afghanistan 1973' ou 'New York 1980'. Ils sont trop nombreux". Il affirme ainsi que les images d'archive "portent en elle, plus que le seul look de l'époque, la charge émotionnelle qui va avec".