D'origine corse, Ange Leccia est un artiste rendu célèbre à travers le monde pour ses expositions d'art contemporain qui mêlent photographies, peintures et installations diverses. Il est également l'auteur de multiples vidéos et courts métrages, et se consacre de plus en plus à sa passion pour le cinéma. Nuit Bleue est son deuxième film à bénéficier d'une sortie en salles après Azé.
Avant tout connu pour ses œuvres picturales et ses expositions d'art contemporain à travers le monde, Ange Leccia a également une véritable passion pour le septième art, et a l'habitude de mêler subtilement ces deux domaines. Ainsi, son exposition "Pacifique", a été conçue comme une succession de scènes de film. Nuit Bleue, à l'inverse, est un moyen de transposer l'art plastique contemporain sur un écran de cinéma. "Je veux essayer de toucher une audience peut-être moins spécialisée que celle du champ de l'art contemporain. Toutefois, j'ai conservé la même éthique, la même exigence," explique Leccia.
Dans Nuit Bleue, Ange Leccia reprend les codes du film d'action, mais les détourne pour livrer un discours tout particulier, empreint de poésie. "J'avais envie d'amplifier la charge dramatique du film, de décontenancer le spectateur, en offrant tous les ingrédients spectaculaires du cinéma commercial traditionnel. Mais en les dynamitant pour réaliser une œuvre plus introspective," explique le cinéaste.
Souhaitant exprimer une réelle opposition entre les cultures de ses personnages, le réalisateur a choisi ses comédiens en conséquence. Ainsi, la parisienne Cécile Cassel représente "l'ailleurs", selon les termes du cinéaste, et s'oppose aux Corses Francois Vincentelli et Alexandre Leccia, chacun possédant également une personnalité qui lui est propre. Le choc de ces trois personnages, aux antipodes les uns des autres, est ainsi à la base de l'intrigue, et représente en même temps un véritable témoignage de la part de Ange Leccia. "Je voulais filmer cette rencontre et faire ce constat autobiographique d'un décalage entre le Continent et l'île," explique-t-il. Les autres comédiens du film, quant à eux, interprètent quasiment leur propre rôle.
Par différents effets de caméra et procédés de montage, le réalisateur Ange Leccia a tenté, dans Nuit Bleue, de rallonger la temporalité, pour retranscrire de façon cinématographique l'état d'esprit des personnages. "Il s'agit pour moi de traduire une sorte de temps étalé, où rien n'a lieu. La caméra amplifie alors les actions les plus anodines, les plus quotidiennes," explique le cinéaste. De la même façon, le compositeur Christophe Van Huffel s'est également inspiré de ces indications pour signer la partition du film.
Le manque de dialogues dans Nuit Bleue est compensé par un jeu constant entre silences et musiques, essentiel dans le discours du réalisateur. En effet, la partie musicale du film revêt une importance cruciale et reflète les différences entre les personnages. Ainsi, les chants du groupe corse A Filetta, quasi-chamaniques, font écho aux deux figures masculines du film, tandis que la chanson "Ne Dis rien" de Serge Gainsbourg représente la jeune Parisienne interprétée par Cécile Cassel. Cette confrontation musicale exprime ainsi l'opposition culturelle entre les personnages dans le film, mais fait également écho à la jeunesse de Ange Leccia, durant laquelle le cinéaste écoutait les artistes en vogue tels que les Pink Floyd ou les Beatles, mais aussi les chants corses de sa terre natale.
Ange Leccia a accordé dans son film une place essentielle à la géographie et au climat. Il les considère comme des personnages à part entière, qui influent sur les trois protagonistes de l'histoire. "Ce monde extérieur est étroitement lié à leurs émotions, à leurs affects. Il est comme une représentation de leur univers mental," explique le cinéaste, qui a d'ailleurs tenu à tourner Nuit Bleue pendant l'hiver. La pluie et les tempêtes qui accompagnent généralement cette saison en Corse ont ainsi pu étoffer son récit comme il le souhaitait, et devenir une illustration de l'esprit tourmenté des personnages.
"Les explosions fonctionnent dans le film comme des ponctuations," explique Ange Leccia. Le cinéaste ne cache pas sa fascination pour ces manifestations, dont il s'est d'ailleurs déjà servi à plusieurs reprises lors de précédentes expositions d'art. Nuit Bleue est pour lui une nouvelle occasion de mettre en scène des explosions, cette fois ancrées dans un récit cinématographique, et faisant écho au comportement de certains personnages. "C'est un geste éphémère, qui se consume sur place. J'aime cette radicalité que l'on retrouve chez Alexandre qui répète de manière presque autiste cet acte," déclare le réalisateur.
Nuit Bleue a été présenté au Festival International du Film de Rotterdam en 2010.