Zéro glamour, zéro flonflon romantique, mais un mélodrame cru et âpre, d'une intensité sauvage et sensuelle. L'approche d'Andrea Arnold fait souffler un vent nouveau sur ce classique de la littérature anglaise. Principale innovation par rapport au roman : Heathcliff est noir. Ce qui introduit une dimension sociale nouvelle, renforce la marginalisation du personnage et les difficultés d’un amour avec Cathy. Le scénario avive ainsi les tensions, les heurts. Pour le reste, il taille dans le texte, le dépouille de dialogues, le « désintellectualise », pour se concentrer de manière sensitive sur l’enracinement d’une obsession amoureuse dans un contexte rude et tourmenté. Le contexte humain, c’est un tissu de relations violentes, nourries de passion, de cruauté, de jalousie. Le contexte naturel, c’est un univers de boue et de vent, d’herbes folles noyées dans les brumes. La réalisatrice et le chef op’, Robbie Ryan, captent tout cela avec une caméra vibrante (souvent à l’épaule), proposent des points de vue subjectifs, alternent des gros plans frémissants de vie (sur les hommes, les animaux, la végétation) et des plans larges plus froids mais saisissants de beauté (paysages, ciels). Ils jouent aussi superbement avec la lumière ou avec les focales, entre le net et le flou. Dans le même temps se fait entendre une multitude de sons qui donnent encore plus de réalité, d’épaisseur, à l’environnement décrit. Un environnement que l’on ressent grâce à une remarquable poétique des éléments, avec une prédominance ici de la terre, de l’eau et de l’air. Le drame plonge ainsi dans une vraie matière élémentaire ; il y trouve son corps, son âme, son souffle. Et c’est rare.
Quelques petites faiblesses empêchent toutefois de s’emballer complètement. Au niveau de la narration, il y a un léger déséquilibre entre la partie sur l’enfance des personnages, qui s’étire dans le temps avec un minimum d’actions, et la seconde partie, à l’âge adulte, plus ramassée et davantage concentrée en rebondissements qui auraient mérité un peu plus de développements pour un meilleur impact. L’ellipse temporelle met par ailleurs en évidence des choix de casting pas très heureux ou une mauvaise gestion de l’évolution des personnages : les actrices interprétant Cathy enfant et Cathy adulte sont trop différentes physiquement pour que la transition soit crédible, tandis que certains personnages secondaires ont trop peu vieilli, d’une époque à l’autre, en comparaison des personnages principaux. Enfin, la réalisatrice, emportée par son élan, abuse parfois un peu des mêmes effets stylistiques. Cette nouvelle version des Hauts de Hurlevent n’en demeure pas moins inspirée, singulière, consistante et puissante.