"Sous le sable !"
L’arrivée sur Arrakis et les premiers rayons de soleil aveuglant les visages stupéfaits du Duc Leto (Oscar Isaac), de Dame Jessica (Rebecca Ferguson) et de Paul (Timothée Chalamet) à l’ouverture des soutes des navettes de transport restera l’une des scènes les plus emblématiques de “Dune” version (2021). Au son des cornemuses de la garde royale sur le tarmac brûlant de la cité d’Arrakeen, se joue un requiem annoncé ! En effet, après 80 ans d’exploitation de l'Épice, les Harkonnens en guerre contre les Fremen - le peuple des sables - sous l’impulsion de l’Empereur Padishah Shaddam IV - cèdent leurs concessions minières à la maison des Atréides. Les Harkonnens considérés comme des tortionnaires aux yeux des autochtones, ont fait régner la terreur sur la planète. Le Duc Leto veut fédérer Arrakis, mais il sait que tout ceci est une tactique de l’empereur voulant asseoir avec plus de force son pouvoir sur la guilde planétaire de l’Imperium en déclenchant une guerre inévitable contre les Harkonnens. Leur chef suprême, le Baron (Stellan Skarsgard) n’est pas prêt à abandonner l’énorme manne financière qu’est l’Épice !
Trente-six ans après David Lynch, c’est au tour du Canadien Denis Villeneuve d’adapter le roman de Frank Herbert. À l’instar de “Blade Runner 2049”, son précédent long-métrage, Villeneuve n’essaie nullement de faire un remake - même si pléthores de moments ont déjà été vues dans la précédente adaptation - il nous livre sa propre vision et quelle vision ! Il faut bien dire que le résultat est à la hauteur de l’attente - c’est une phrase un peu clichée, je vous l’accorde - mais après de longs mois de disette due à la pandémie, revoir un tel film sur grand écran est un moment privilégié. Désireux de faire de “Dune”, une trilogie, à condition que les scores du film sur la plateforme de streaming HBO MAX soient au rendez-vous, sortie US le 22 octobre - on vit une drôle d’époque - il est possible que cette première partie ait comme un parfum d’inachevé ! Seul l’avenir nous le dira. Pour l’heure, “Dune” (2021) alterne avec brio les moments intimes et les batailles épiques, l’attaque d’Arrakeen par les Harkonnens et les Sardaukars de l’Empereur fera date et pour cause, Villeneuve y préfère des chorégraphies à l’arme blanche, plutôt que du laser, un parti-pris payant donnant à la bataille un côté chevaleresque anachronique d’une rare violence graphique. Le casting sans faille participe à l'ampleur mythologique du récit. Jason Momoa et Josh Brolin - en militaires Atréides - déploient une puissance physique folle, Oscar Isaac a l’étoffe d’un monarque, Rebecca Fergusson joue habillement de l’aura entourant l’ordre du Bene Gesserit, au même titre que Javier Bardem en chef Fremen mystérieux, quant au jeune Thimoté Chalamet, il incarne un charismatique Paul à la fois enfantin et adulte où faiblesse et force se disputent chaque parcelle de son être. La partition musicale immersive du grand Hans Zimmer aux accents orientaux et exotiques - tout comme l'Épice - nous fait voyager sans nous déplacer. Le film est d’une richesse scénaristique, esthétique, visuelle et sensorielle rarement atteinte. On le sait, la filmographie du réalisateur montre qu’il a fait sien de l’adjectif grandiose. Tourné en partie dans des décors naturels - la Jordanie et la Norvège - agrémentés d’effets visuels savamment incorporés, “Dune” (2021) redonne le souffle épique qui manquait au paysage cinématographique étouffé sous des chapes d’effets 3D indigestes. La photographie extérieure magnifique cède sa place aux scènes d'intérieur non moins splendides elles aussi. Que l’on soit sur la luxuriante planète Caladan, que l’on soit sur la glaçante Geidi Prim ou encore sur l’aride Arrakis, l’architecture à la fois intime et grandiose des palais convoque immédiatement le cinéma de William Wyler, de Cécile B. DeMille ou encore celui de Joseph L. Mankiewicz. Quand le décorum du Péplum s’allie au Space Opéra, le mélange n’en est que plus détonnant. Et de mélanges, il en est question à travers l’univers d’Herbert, relayé par Villeneuve, qu’il soit d’ordre géographique, religieux ou linguistique. Blockbuster assumé par les studios Warner/Legendary, cette version 2021 de “Dune” est bien plus que cela. Le long-métrage se lit comme une fable guerrière multi-ethnique, géopolitique et écologique faisant écho à notre triste époque, en même temps qu’un réquisitoire à charge contre la convoitise et le pouvoir. Le tout au sein d’un film de SF majeur se revendiquant comme le chaînon manquant entre action et réflexion !