Une nouvelle fois, je me retrouve perplexe devant un film qu'a encensé la critique. "Tant de joie, tant de force, tant de grâce observées avec vérité et pessimisme" pour Libé, "Khamsa est à l'image de ce bijou, symbole de partage et d'humanité, qui lui donne son titre : fragile et précieux" pour Télérama, "Khamsa fonce à toute allure, enjambe les obstacles, déjoue les pièges et prend les clichés de vitesse" pour Le Nouvel Obs : ne reste plus qu'à suivre la prescription du Monde ; "Il y a urgence à aller le voir", ce que j'ai donc fait en bon lecteur de la presse de gauche.
Très vite, un sentiment de malaise m'a pris. Je comprends bien sûr l'intention exprimée par Karim Dridi après avoir visité un camp de Gitans à Marseille : "J'ai vraiment halluciné quand j'ai vu leurs conditions de vie. Ces gens font partie de la population française, mais ils sont le sous-prolétariat du sous-prolétariat, personne n'en parle." Cette volonté se perçoit tout au long du film, par la description des conditions de logement, d'hygiène et d'environnement de "ces gens", et ce n'est pas parce qu'on est à Marseille que la misère serait moins pénible au soleil.
Mon malaise provient de ce qui nous est montré de cette population : vols, trafics en tous genres, racisme, combat de coqs et de chiens, et surtout une attitude éducative qui va de l'abandon pur et simple (la tante qui refuse de prendre son neveu avec elle alors qu'il est à la rue à 11 ans) et l'irresponsabilité totale (le père qui saoûle son fils avant de s'envoyer en l'air devant lui, tout en lui reprochant de n'avoir pas caché sa main de Fatma dans l'église lors des obsèques de la grand-mère). Certes les conditions de vie sont dures, les habitudes familiales et culturelles différentes de celles des Gaulois, mais tout cela est équilibré dans les films de Tony Gatlif par la description des liens familiaux, d'un sens de l'honneur et d'une place de la musique qui n'est ici que plaquée maladroitement sur le récit.
Et puis surtout, chez Gatlif, on est dans le registre du réalisme poétique, alors que cette distance n'existe pas un instant chez Dridi. On est plus proche des personnages adolescents de Doillon, mais contrairement au "Petit Criminel", l'énergie du personnage ne suffit pas à donner une ligne narrative au film. Quand Le Nouvel Obs souligne l'évitement des clichés, je reste franchement dubitatif ; l'histoire enchaîne les situations prévisibles et déjà vues, et on pense pêle-mêle au "Thé au harem d'Archimède", à "La Petite Voleuse" et, Planète Mars oblige, à "Comme un aimant".
La critique a aussi comparé "Khamsa" à "Entre les murs", à cause de l'identité de la démarche qui a consisté à utiliser de jeunes acteurs non professionnels à qui on a fait suivre des cours d'improvisation. La comparaison est malheureuse, car on ne retrouve pas la fluidité des élèves de Laurent Cantet, ni celle des collégiens de Kechiche dans "L'Esquive" ; outre la difficulté de comprendre certains dialogues marmonnés avec l'accent marseillais, on perçoit trop souvent le manque de naturel des acteurs comme un écran à l'adhésion au propos du film, et entre "Sale bicot" et "Marco ! Qu'est ce que tu fais là ?" (bon résumé de l'intrigue), la réplique la plus élaborée est "Les tigresses, les hommes ça les domptent"...
Poussé tout seul entre foyers de la DDASS et rejet familial et clanique, Marco exprime sa rage contre les animaux : il ne fait pas bon être hérisson, souris ou python dans ce film. Il se livre subrepticement à son cousin en lui avouant son rêve de devenir boulanger, métier bien de chez nous, celui de faire le pain des Français. Mais ces moments qui font exister un personnage sont trop rares, et la volonté de montrer ce que la société peut avoir fait d'un tel chiendent en résumant l'action à une suite de scènes filmées sans distance détourne le spectateur (ou en tout cas votre serviteur) d'un discours auquel il était pourtant disposé à adhérer.
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