Dans la famille Makhmalbaf, après le père Moshen ("Kandahar"), la mère Marziyeh ("Le Jour où je suis devenue femme") et la soeur aînée Samira ("Le tableau Noir"), voici donc la cadette Hana. Comme son père et sa soeur, elle a planté sa caméra dans l'Afghanistan voisine pour parler de la société de ce pays marqué par des années de domination des talibans, à travers le destin d'une petite fille qui revendique son droit à l'éducation.
La réalisatrice a casté des milliers d'enfants de Bamyan et de ses environs avant de trouver ses jeunes acteurs. Patience justifiée, tant le film repose sur les épaules de Nikbathk Noruz présente à l'image dans quasiment toutes les scènes, et tant le choix de cette gamine à la présence à la fois grave et mutine semble judicieux.
La première partie du film se joue sur le ton de la chronique savoureuse, en suivant le cheminement de la débrouillarde Bakhtay qui troque des oeufs contre du pain, du pain contre de l'argent et de l'argent contre le fameux cahier, dans un village où les hommes ne s'étonnent pas de voir une gamine haute comme trois pommes marchander comme une grande, ou courir après celui qui en la bousculant a fait tomber deux de ses oeufs pour exiger qu'il les lui paie.
Munie de son cahier qui connaîtra progressivement le même sort que celui du voisin de Doinel dans "Les 400 Coups", infatigable trekkeuse, elle visitera l'école des garçons, celle des filles, et même celle des adultes, ce qui nous donne l'occasion de constater que là-bas l 'enseignement de la lecture ne connaît pas la méthode globale, et que Darcos et Robien se réjouiraient de voir les gamins ânonner leur alphabet comme des moulins à prières.
La deuxième partie change brusquement de tonalité, quand la fillette se fait intercepter par une bande de garçons armés de baguettes-kalashnikov, et qui se proclament talibans : pour eux, Bakhtay est impie, Abbas est un espion, et un cerf-volant est un bombardier américain. Comme Bakhtay, on a envie de dire qu'on ne veut pas jouer à ce jeu-là, tant il est réaliste, et tant on ne sait pas s'ils sauront arrêter leurs bras au moment de mettre à exécution leur menace de lapidation.
Ils couvrent le visage de Bakhtay et des autres filles qu'ils ont fait prisonnières de sacs en papier qui représentent la burka, et qui évoque ici le masque de John Merrick. Bakhtay n'a que son état d'enfance à opposer à cette barbarie simulée, et quand le chef de la bande est obligé de dessiner plusieurs cercles de craie pour symboliser sa prison, elle les transforme en marelle.
Le rythme est lent, répétitif à l'image des phrases que Bakhtay répète à la fois pour se faire entendre et pour se rassurer, et il y a ça et là quelques maladresses et quelques longueurs. Mais il y a incontestablement un style qui évoque tout à la fois "The Kid", le néo-réalisme et le cinéma soviétique, et la façon de mettre les enfants au centre du récit place "Le Cahier" dans la lignée de "Zéro de Conduite" et "Les 400 Coups".
http://www.critiquesclunysiennes.com