Rachel se marie c'est Festen, mais en bien. Un film formidable donc.
La force essentielle du film, c'est sa manière de capter quelque chose de vrai, de s'inscrire dans un registre hyper-réaliste qui renforce l'impact émotionnel de l'oeuvre. La scénariste a écrit des dialogues et des situations d'une justesse inouïe, multipliant les séquences toutes plus authentiques les unes que les autres. C'est déjà un bon point, auquel vont venir s'ajouter deux autres éléments : l'interprétation et la mise en scène.
Jonathan Demme choisit une caméra portée, toujours en " ébullition " , manifestant sans cesse sa vivacité, collant au plus près des visages et des émotions des personnages. Il y a un côté documentaire que le statut particulier de la jeune femme jouée par Anne Hathaway - une star de l'écran - vient renforcer ; on a l'impression de mater un reportage télé, de ne plus du tout être dans le monde de la fiction mais dans un univers qui n'a plus grand-chose de factice. Au départ c'est un peu étrange, et ça continuerait à l'être s'il n'y avait pas cet excellent scénario qui insuffle de grandes idées de cinéma au film. Mais petit à petit le spectateur en arrive à casser la barrière de l'écran, et a l'impression de faire pleinement partie du monde diégétique. C'est que tout semble tellement vrai que quelque part le film se situe très loin des représentations conventionnelles du cinéma. Quel autre film américain nous montre des personnages en train de faire la vaisselle, et ce pendant environ cinq minutes ? C'est là l'intelligence du film, ancrer profondément ses personnages dans des situations de la vie quotidienne pour créer un pont entre ces derniers et le spectateur. Mais en même temps, et toujours, ne pas oublier d'injecter de la tension et du " spectacle cinématographique ". La conclusion de la séquence de la vaisselle en est un exemple pertinent. Le réalisme du film brise un autre code en même temps qu'il donne de l'importance à absolument tous les personnages, qu'ils soient premiers ou secondaires. Cela concerne la participation de chacun. Il est rare de voir dans un film comique, lorsqu'une plaisanterie est faite, d'autres personnages rire. C'est comme si le cinéma en général ne s'adressait qu'au spectateur au détriment des autres personnages qui l'habitent. Rachel Getting Married est un film qui instaure la démocratie participative : quand quelqu'un dit quelque chose de drôle tout le monde rit, et quand quelqu'un dit quelque chose de triste tout le monde éprouve cette peine. De ce fait, cela renforce davantage l'implication du spectateur qui a le sentiment de ressentir les mêmes choses que les personnages.
La mise en scène de Demme évite donc une dramatisation excessive, le spectacle pur. Et les personnages gagnent alors en humanité, notamment celui de Kym, interprété par une Anne Hathaway tout simplement époustouflante. Elle est très belle en même temps qu'elle inspire de la pitié - peut-être que sa beauté vient de là. Il faut voir comment le destin semble s'acharner sur elle, comment il lui rappelle inlassablement sa condition et l'événement grave qu'elle a causé. Le moment où elle donne l'assiette à son père sans savoir qu'il s'agissait de celle de son frère est un exemple pertinent de la manière dont elle ne fait que subir la tristesse de sa condition. Elle a beau essayer d'oublier son traumatisme, il y a toujours un élément qui le lui rappelle cruellement.
Film absolument bouleversant et audacieux, à l'écriture parfaite.