Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde sont réunis pour la seconde fois au cinéma. Ils se sont rencontrés en 2005 sur le tournage d'Entre ses mains d'Anne Fontaine. L'actrice explique qu'elle est retombée sous le charme de son partenaire: "Là, je l’ai redécouvert plus puissant, encore plus à l’aise dans la gamme des facettes qu’il maitrise parfaitement. Mais son jeu s’est encore enrichi, il a gagné en souplesse. Il est capable de jouer sur différents registres, parfois simultanément. C’est impressionnant."
Le choix s'est porté instinctivement sur Isabelle Carré avec laquelle Jean-Pierre Améris était déjà en projet pour le téléfilm Maman est folle. Il rapporte: "J’ai eu l’impression de rencontrer une sorte d’alter ego. On a parlé du sujet et elle s’est immédiatement montrée intéressée. En collaborant aussi longtemps en amont, on a pu nourrir son personnage de petites choses qui viennent d’elle ou de moi.". Pour ce qui est du personnage masculin, le choix a été tout aussi évident: Benoît Poelvoorde déployait une sorte d'énergie comparable à celle d'un hyperémotif, ce qui a tout de suite séduit le réalisateur. Son impulsivité mettait à nu une personnalité sur le fil, oscillant entre humour et désespoir. "C’est un génie comique et comme tous les artistes de ce niveau, la faille et l’émotion ne sont jamais loin. Il peut vraiment être bouleversant tout en étant drôle," confie le réalisateur, sous le charme.
Le film reprend à son compte plusieurs éléments inhérents au genre de la comédie romantique. Les deux personnages sont confrontés à la première rencontre, aux premiers contacts, aux émotions intimes. En revanche, tous ces lieux communs sont revisités et donnent naissance à des scènes plus que cocasses. A la maladresse habituelle s'ajoute l'inhibition des hyperémotifs: l'humour prend ainsi le pas sur l'émotion. Le réalisateur avoue s'être intéressé à ceux qui, bien souvent, demeurent dans l'ombre, ceux qui ne peuvent s'affirmer: "(...) des gens montent sur scène, certains restent dans les coulisses, la plupart préfèrent être spectateurs. Ils restent dans l’ombre, ce sont les plus nombreux, les plus modestes et ils me touchent. C’est à eux que je m’intéresse."
Il semble que le réalisateur, Jean-Pierre Améris livre avec Les Émotifs anonymes son film le plus personnel. Il explique que l'idée du scénario lui est venue suite à ses expériences à l'hôpital ou dans des groupes de parole qui réunissaient des "handicapés de la vie", absolument terrifiés à l'idée de rencontrer des gens. Car, oui, Les Émotifs anonymes c'est à l'origine une association créée à l'usage de personnages qui redoutent la mise en présence et l'intimité. De ces détresses quotidiennes découle une "hyperémotivité" face à autrui. C'est ce sentiment d'instabilité qu'a voulu peindre le réalisateur qui, lui-même, a été confronté à ces petits handicaps. Il rapporte: "Je me souviens que lorsque j’étais enfant et que je devais sortir de la maison, je regardais d’abord par l’entrebâillement du portail pour vérifier qu’il n’y avait personne dans la rue. Si j’arrivais en retard à l’école j’étais incapable d’entrer dans la classe".
Parce que les "hyperémotifs" se trouvent souvent confrontés à des situations burlesques et se créent des mondes d'inhibitions, le réalisateur explique qu'il a voulu transcrire cette vision du monde en insistant sur l'aspect graphique du film. Pour cela il a demandé à son directeur de la photographie de mettre en valeur certaines couleurs comme le rouge et le vert. Les lumières chaudes ont été privilégiées brouillant les frontières temporelles. L'univers du film fait penser aux années 50 mais nous renvoie à un dynamisme proprement contemporain. L'importance accordée aux décors et costumes contribue également à la création de mondes décalés. "Je voulais aussi retrouver, transmettre ce plaisir qui m’a fait adorer le cinéma, pénétrer, un autre univers, quitter le monde réel", explique le cinéaste.
Le film a été tourné en partie en Belgique le pays du chocolat, les deux personnages se trouvent réunis dans une chocolaterie (Benoît Poelvoorde en est le gérant), mais loin d'être un détail anodin le chocolat est connu pour ses vertus palliatives et le choix de cet aliment est loin d'être fortuit. Le cinéaste rapporte que c'est une gourmandise qui "aide à se sentir mieux, c’est un parfum et un goût liés à l’enfance, et les anxieux en abusent. D’où l’idée de la chocolaterie dans laquelle lui serait patron et elle chocolatière.".
Benoît Poelvoorde réitère après Podium. Dans une scène du film, il se met à chanter devant Angélique. Cette scène a semble-t-il était difficile à tourner pour l'acteur: "Chanter, c’est se mettre à nu et j’ai lutté pour ne pas le faire. Mais c’était sans compter sur l’obstination de Jean-Pierre et j’ai fini par céder. Heureusement, il y avait Isabelle devant qui jouait le regard", a-t-il déclaré.
Le cinéaste explique que Les Émotifs anonymes est, en quelque sorte, le couronnement de ses films précédents puisque la peur est au centre de ce long métrage: "Avec le recul, je m’aperçois que la peur a toujours été le sujet de mes films : la peur de s’engager dans Le Bateau de mariage, la peur de se lancer dans sa passion d’acteur pour Les Aveux de l'innocent, la peur de la mort dans C'est la vie, la peur de la sexualité dans Mauvaises fréquentations. Les peurs de mes personnages constituent le prisme par lequel je les observe mais, parce que je suis d’une nature positive, j’aime aussi raconter comment ils les surmontent et s’en sortent."
Le couple de timides est accompagné par la musique dans l'air du temps du duo Angus et Julia Stone. Le clip du morceau "Big Jet Lane" reprend des images des Émotifs anonymes et met en scène les deux acteurs.