La Femme sans tête a été présenté en Sélection officielle, en compétition, au 61e Festival de Cannes. Née en 1966, la réalisatrice argentine est déjà une habituée de la Croisette, puisqu'elle y avait présenté son deuxième long métrage, La Nina santa, et avait fait partie du jury en 2006.
Au-delà de cette histoire individuelle, la réalisatrice veut en fait dénoncer la violence à l'oeuvre entre les classes sociales. "Ce sont des choses tellement imprégnées dans les moeurs, tellement intégrées, qu'il est très difficile de les traiter de façon directe", Lucrecia Martel. "Pour parler des mécanismes de complicité pendant la dictature, il vaut bien mieux prendre ce genre de chemin de traverse que traiter directement des faits. Dans l'approche documentaire, on perd la temporalité très étendue qu'a ce mécanisme. Je crois que dans le cinéma argentin, on n'a pas su trouver les mécanismes de fiction pour approcher les faits, on a toujours l'impression qu'on ne peut faire référence aux faits que de façon naturaliste et documentaire."
Comme le précédent film de Lucrecia Martel, La Femme sans tête a été produit par Pedro Almodóvar et son frère Agustin Almodovar via leur société El Deseo.
Lucrecia Martel avait écrit une première ébauche de deux pages de La Femme sans tête avant même le tournage de son premier film, La Ciénaga. Le projet a ensuite évolué au fil du temps. La réalisatrice évoque le point de départ du film : "(...) ce qui m'intéressait le plus, c'était de travailler sur le bouleversement de la perception qui se produit chez quelqu'un qui a vécu un événement violent et confus. Ensuite, j'ai commencé à me recentrer : la question était de savoir si une personne a, oui ou non, tué quelqu'un, et sur le fait que le doute voire le manque de curiosité autour de cette question génèrent forcément des réactions de complicité. C'était un mécanisme qui me semblait intéressant, parce que c'est quelque chose de très argentin, en tout cas ces dernières décennies (...) Il m'a semblé intéressant de voir de quelle façon se met en place ce mécanisme sans qu'il y ait un personnage de méchant barbare."
Lucrecia Martel parle de la dimension citoyenne du septième art : "Mon cinéma, c'est ma façon d'avoir une participation politique, d'exercer la citoyenneté argentine. Dans l'imaginaire de ma génération, la possibilité d'intégrer des partis ou des organismes clairement politiques a été éradiquée très nettement pendant la dictature. Avec le temps, on se rend compte que ne pas participer à l'histoire politique de son pays rend les choses un peu fades. C'est cette sensation d'appartenir un peu à l'histoire que j'éprouve à travers le cinéma. En croyant non pas que mes films vont transformer le monde, mais qu'ils constituent un apport de quelqu'un qui se préoccupe de la communauté, davantage que des individus et de leurs petites folies."
Un travail particulier sur l'image et le son a été fait, afin de rendre sensible à l'écran la confusion dans laquelle baigne l'héroïne. "Cela servait à montrer ce monde flou, celui des employés, du personnel domestique, que l'on côtoie et qui a son propre fonctionnement mais dont on a une perception faussée", précise Lucrecia Martel. Avec la chef opératrice, Barbara Alvarez, et la directrice artistique, Maria Eugenia Sueiro, on a décidé d'utiliser le CinémaScope à l'intérieur des maisons et sur les pare-brises de voitures. J'ai fait entrer à l'intérieur du cadre beaucoup de mouvement et d'images floues. Le son est aussi très complexe, avec de nombreuses couches, beaucoup de voix superposées. Nous pensions qu'il fallait un certain brouhaha autour de la protagoniste pour restituer la situation qu'elle vivait. précise
Le cinéma sensoriel de Lucrecia Martel se soucie peu de psychologie. La réalisatrice confie : "En réalité, pour construire les personnages, la question psychologique ne m'est d'aucun secours, parce que je n'y connais rien et que ça m'exaspère. En revanche, j'ai utilisé cette idée, issue de la médecine populaire, que la peur fait sortir l'âme du corps. Avoir perdu son âme permet peut-être de transformer sa vie, pour prendre un autre chemin. Ce n'est pas un moment nécessairement mauvais. En tout cas, pas dans le film."