Le Grand alibi est l'adaptation d'un roman d'Agatha Christie intitulé The Hollow, publié en 1946, et qu'on connaît en français sous le titre Le Vallon. Il s'agit d'une enquête d'Hercule Poirot, mais Pascal Bonitzer, ayant décidé de transposer cette histoire dans la France d'aujourd'hui, a choisi de supprimer ce personnage. Mais Christie elle-même l'avait supprimé lorsqu'elle écrivit une version théâtrale de cette oeuvre. Interviewé en 2007 par AlloCiné
Pascal Bonitzer parle de ce qui l'a séduit dans ce roman : "Du point de vue de l'intrigue policière, ce n'est sans doute pas le mieux construit d'Agatha Christie. De même que son titre, "The Hollow", est sans doute le plus plat d'un auteur qui pourtant en a trouvé de magnifiques. Son originalité (et ce qui m'a tout de suite accroché) tient à ce qu'il donne une importance spéciale et une certaine autonomie à l'intrigue sentimentale, au point que l'on se demande ce qui intéresse le plus Agatha Christie ici, de l'énigme criminelle ou des histoires d'amour que le récit déroule, et qui curieusement, assez exceptionnellement même, ne convergent pas complètement.
Avec plus de deux milliards et demi d'ouvrages vendus à travers le monde, Agatha Christie est le deuxième auteur le plus lu, après William Shakespeare. Son oeuvre a donné lieu à des dizaines de films, à partir de la fin des années 20. L'auteur elle-même considérait que la première adaptation réussie était Témoin à charge de Billy Wilder (1957). Dans les années 70, plusieurs films, bénéficiant d'une distribution prestigieuse, ont été tournés à partir des polars de Christie : citons Dix petits nègres de Peter Collinson avec Richard Attenborough, Charles Aznavour et Oliver Reed en 1974, Le Crime de l'Orient-Express de Lumet avec entre autres Albert Finney, Lauren Bacall et Ingrid Bergman (1974), Mort sur le Nil de Guillermin, avec Peter Ustinov, Jane Birkin et Bette Davis (1978) ou encore Le Miroir se brisa de Hamilton avec Tony Curtis, Rock Hudson et Kim Novak (1980). Jusqu'en l'an 2000, les héritiers de l'écrivain exigeaient des cinéastes une fidélité scrupuleuse aux romans d'origine (l'action devait par exemple forcément se dérouler dans les années 20 à 60), ce qui a pu freiner les ardeurs de certains. Le petit-fils d'Agatha Christie a, depuis, déclaré que sa famille ne s'opposerait plus à des adaptations plus libres. Cela explique pourquoi peu de cinéastes français du passé ont porté à l'écran l'oeuvre de la reine du suspense, si on excepte René Clair dans sa période américaine (Dix Petits Indiens en 1945) et, encore avant, Jean Kemm en 1932 (Le Coffret de laque). Récemment, Pascal Thomas a relevé le défi en signant Mon petit doigt m'a dit (2005) et Le Crime est notre affaire (2008) avec Catherine Frot et André Dussollier (pour des enquêtes du couple de détectives Beresford), et L'Heure zéro en 2007.
Le réalisateur revendique la dimension ludique du film : "C'est un Cluedo si l'on veut, c'est aussi une sorte de puzzle, et j'ai voulu que formellement le film soit construit comme cela. Peu de plans- séquences. Les plans sont morcelés, éclatés, comme des pièces de puzzle qui attendent d'être rassemblées, emboîtées, mais qui se présentent dispersées sur la table. La scène du meurtre à la piscine est fabriquée ainsi : les personnages - ce sont eux les pièces - sont là, à la fois rassemblés et dispersés en désordre apparent, mais avec un ordre secret, autour de la victime... Et il y a bien sûr des pièces manquantes. Il y a des trous. Ce sont surtout des trous temporels : qui faisait quoi à quel moment ? Il y a aussi les trous de mémoire (...) Une enquête policière consiste en partie à trouver et à combler les trous dans l'emploi du temps des suspects. Ces trous sont ici les ellipses, très nombreuses, du récit."
Ce n'est pourtant pas uniquement cet aspect ludique qui a attiré le réalisateur : "Il y a la passion, la folie. C'est sans doute ce qu'il y avait de plus difficile à traiter, mais c'est aussi ce qui m'excitait le plus dans le projet. également une histoire de passion poussée jusqu'à la démence, et il fallait essayer de la traiter sans tomber dans le ridicule et le grand guignol, mais sans non plus éviter l'excès, le paroxysme. Dans le livre, l'histoire se termine dans un salon autour d'une tasse de thé empoisonnée. Cette tasse de thé est à la fois invraisemblable (...) et ennuyeuse. Quitte à braver la vraisemblance, j'ai préféré profiter du décor que j'ai trouvé, le vrai atelier d'un vrai artiste, vraiment situé au sommet de Paris, et à déboucher sur les toits, à donner de l'air au film. C'était "casse-gueule", au propre et au figuré, mais je n'ai pas le sentiment que c'est hors sujet."
Pascal Bonitzer situe Le Grand alibi à l'intérieur de sa filmographie : "J'ai plutôt débuté par la comédie ("grinçante") avec Encore et Rien sur Robert avant d'aller, dans mes deux derniers films, vers une tonalité de plus en plus noire et inquiétante. J'ai donc le sentiment d'un infléchissement logique, plus que d'une rupture. Le côté Agatha Christie, d'ailleurs, me permettait de rester dans cet entre-deux qui m'intéresse entre comédie et drame, de mêler le comique à la noirceur."
Pour l'écriture de l'adaptation, le cinéaste s'est adjoint les services du scénariste Jérôme Beaujour, connu notamment pour sa longue collaboration avec Benoît Jacquot. Egalement romancier (Dans le décor, 2005), Beaujour a travaillé entre autres avec Emmanuel Carrère sur La Moustache et a participé à l'adaptation du roman de Stephen McCauley La Vérité ou presque pour le film de Sam Karmann. Il a par ailleurs consacré un documentaire à Marguerite Duras.
L'affiche du film a été conçue par Floc'h, illustrateur à qui on doit notamment plusieurs fameuses affiches de films d'Alain Resnais On connaît la chanson ou Smoking/No Smoking -il a donc déjà eu l'occasion de dessiner Pierre Arditi et Lambert Wilson ! Il avait déjà signé pour Pascal Bonitzer l'affiche de Petites coupures.
Pascal Bonitzer avait déjà dirigé Valeria Bruni Tedeschi dans son premier long métrage, Encore, en 1996. D'autre part, l'actrice avait confié à Lambert Wilson (dont elle est la maîtresse dans Le Grand alibi) le rôle de son frère dans son propre film, Il est plus facile pour un chameau....
Ce film n'a rien voir avec Le Grand Alibi réalisé par Alfred Hitchcock en 1950 avec Jane Wyman et Marlene Dietrich. "Si ç'avait été un chef-d'oeuvre et un film célèbre, évidemment cela aurait été outrecuidant. Mais ce n'est pas un chef-d'oeuvre, loin s'en faut. Et puis, il contient cette hérésie narrative qu'est le faux flash-back", justifie Pascal Bonitzer, qui poursuit : "Le titre s'est imposé à moi, car c'est le paradoxe même sur quoi le film se fonde, si l'on songe à la signification du mot alibi : être ailleurs. Je ne veux pas en dire plus, je dévoilerais l'intrigue."
Nicole Garcia, André Dussollier, Marina Hands et Marina Foïs avaient tous été un temps pressentis pour faire partie de la distribution.
Chloé, la nièce des Pagès, est interprétée par Agathe Bonitzer, la fille du réalisateur, qu'on a découverte à l'écran dès son plus jeune âge : elle est apparue en 1994 dans le court métrage Mère séropositive (réalisé par Benoît Jacquot dans le cadre de l'opération 3000 scénarios contre un virus). Depuis, on l'a vue dans des films de son père, mais pas seulement (Les Sentiments de Noémie Lvovsky).
On aperçoit, dans le rôle d'une journaliste, Hélène Frappat, critique de cinéma et écrivain. Ex-plume des Cahiers du cinéma, elle a consacré un ouvrage à Jacques Rivette, réalisateur dont Pascal Bonitzer est le scénariste attitré...