Auteur d'un documentaire sur les atrocités de la guerre en Bosnie et d'un autre sur les difficultés d'un jeune cubain après la révolution de Castro, Marco Amenta aime le cinéma engagé et a continué à le promouvoir à travers ses oeuvres, à chaque fois reconnues par la critique et le public. La Sicilienne, qui est son premier long métrage de fiction, a été sélectionné au Festival de Rome 2008.
Avant de s'inspirer de son histoire dans La Sicilienne, Marco Amenta avait déjà consacré un documentaire à Rita Atria en 1997. A la recherche d'une histoire forte, loin des stéréotypes américains, il a commencé par en parler objectivement via ce genre, avant de passer à une illustration plus "intime" grâce à la fiction: "Le documentaire, c'est le règne de la parole, on s'adresse à la tête, pas au coeur des gens" déclare t-il, tandis que la fiction "permet d'aller au-delà de la chronique, au-delà des noms" et de parler de manière plus "viscérale" grâce au jeu d'acteurs et aux couleurs qui permettent de mettre en scène des oppositions entre les personnages et de révéler leur "transformation intérieure".
Selon Marco Amenta, si la rébellion contre l'oppression se fait ici contre la mafia, elle aurait pu tout aussi bien se faire contre le nazisme ou la dictature sud-américaine. Comparant le destin de Rita à celui d'Antigone, qui place tout comme elle la morale au-dessus des règles sociales, le cinéaste a choisi de ne pas garder les noms des véritables protagonistes de son histoire afin d'être plus libre dans leur incarnation et dans le récit en général: "Le juge est bien sûr inspiré de Paolo Borsellino, qui jusqu'à son assassinat en 1992, avait pris sous sa protection Rita, dont le suicide a lieu une semaine après l'attentat contre le juge. Mais c'est aussi un peu Falcone. Bref, c'est plus un type de juge anti-mafia, que j'ai choisi d'incarner", explique t-il en outre. De même, il était délicat pour lui de citer les personnes envoyées derrière les barreaux par Rita, et dont les procès sont encore en cours.
Evitant le vrai village de Partanna, dans lequel des gens ont été acquittés ou ont purgé leur peine, le metteur en scène a choisi de tourner au Palazzo Adriano, lieu de tournage du Nuovo cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore, qui l'a beaucoup marqué: "Je tenais à ce réalisme, dans les lieux aussi bien que dans le choix du dialecte ou le jeu des acteurs", précise t-il. Ainsi, l'interprète de Vito se trouve être un jeune originaire d'un quartier malfamé de Palerme flirtant avec la mafia tandis que certains acteurs ont même fait de la prison.
Réalisateur, scénariste et comédien, Gérard Jugnot a revêtu de nombreux costumes dans ses films: du costume de chef des scouts en 1985 dans Scout toujours, à la soutane du Père Carnu dans L'Auberge rouge en 2007, en passant par l'uniforme du commissaire Faivre dans Les Brigades du Tigre, le populaire acteur semble avoir un faible pour l'ordre en général.
Marco Amenta a choisi un acteur français pour interpréter le juge anti-mafia, les grands acteurs italiens ayant tous déjà joué ce genre de rôles. Pour appréhender son rôle, Gérard Jugnot a visité le bureau du juge Borsellino, le Palais de Justice et les quartiers de Palerme. Parti à la rencontre du bras droit et héritier de Borsellino, Antonio Ingroia, l'acteur a observé ses gestes et son attitude en général, l'interrogeant sur son rapport avec sa femme et sur sa façon de travailler et apprenant de même à connaître un peu mieux la personnalité de son double. Marco Amenta avoue avoir entre autre choisi le comédien pour ses points communs avec le célèbre juge. Au contraire, Gérard Jugnot a choisi de cultiver sa différence dans l'interprétation du personnage, afin de ne pas lui faire d'ombre: "J'ai su que sa veuve avait été très émue par le film. J'en suis très fier", confie t-il. "Borsellino fumait beaucoup et Gérard dans le film fume le cigare aussi. Un jour, on a demandé à Borsellino : pourquoi tu n'arrêtes pas de fumer, c'est dangereux, tu vas avoir un cancer. Borsellino a repondu : je serais heureux si je mourais d'un cancer ! On voulait mettre cette blague, mais Gérard est superstitieux...", s'amuse en revanche le cinéaste.
Moins connue que Borsellino ou Falcone, Rita Atria divise l'opinion. Si dans son village, une plaque a été posée en sa mémoire, certains la considèrent encore comme "une salope, une putain, qui a vendu les siens", explique le cinéaste, qui a tenté en vain de rencontrer sa mère, "enfermée dans son monde". C'est d'ailleurs le côté âpre et sauvage de l'héroïne de Respiro, Veronica D'Agostino, qui a séduit le cinéaste: "il faut un instinct pour renier tout ce qui fait votre identité, la famille, les valeurs, sans penser aux conséquences de votre geste. Comme Rita, Veronica a grandi aussi un peu hors du monde, à Lampedusa", confie t-il. Laissant la jeune actrice improviser, Marco Amenta l'a vue s'imprégner intensément du rôle tout au long du tournage.