La virtuosité de The Swimmer tient au choix d’une forme en perpétuelle réinvention pour incarner un scénario psychologique voire psychanalytique. Soit l’alliage d’une liberté visuelle et d’un guidage narratif avec, comme point de jonction, le passage d’une piscine particulière à l’autre comme dispositif. L’intelligence du réalisateur consiste à personnaliser chacune des piscines fréquentées, de sorte à matérialiser à l’écran la lente dégradation mentale et physique du personnage principal. La première apparition de Ned fait de lui un corps, presque nu – il le sera à une reprise –, caractérisé par son errance : il surgit d’un bosquet pour surprendre des amis, refuser un verre d’alcool qu’on ne cessera ensuite de lui proposer, et piquer une tête dans l’eau. Son ambition est, en effet, de rentrer chez lui en nageant (« to swim home » en anglais), ce qui nécessite de s’introduire sur les propriétés privées d’anciens amis et voisins jusqu’à regagner son domicile ; or, à mesure qu’il s’en rapproche vont se dégrader ses relations sociales, allant jusqu’au lynchage public et la solitude dernière sur le seuil d’une porte qu’il avait autrefois ouverte.
Le film ressemble à un long rêve éveillé, qui se teinte de tonalités cauchemardesques : la babysitter ne prend pas au sérieux le renouvellement d’une offre qu’elle sait impossible et s’écarte du père de famille dont elle était jadis éprise, le ressassement automatique des questions sur l’épouse et les deux filles diffuse un air de suspicion généralisée sur la lucidité du personnage principal, les critiques violentes que ce dernier essuie de la part de l’une de ses maîtresses révèle un passé tourmenté… La piscine évolue en même temps qu’il prend conscience de la fiction dans laquelle il vit : en tant qu’espace strictement défini et délimité, elle commence par représenter un refuge intérieur idéal situé hors du temps que consacre une lumière blanche prise de face ; c’est alors pour Frank Perry l’occasion de jouer avec les clichés du divertissement ensoleillé, avec ses corps bronzés et athlétiques, ses bavardages sans intérêt et ses beuveries sans fin. Ned préfère l’eau aux alcools servis, se montre grossier en s’imposant dans la piscine des autres qui, peu à peu, change de connotation : elle préfigure le risque lorsqu’elle est vidée et qu’un enfant manque d’y tomber, puis l’engloutissement quand des dizaines d’enfants et de parents la fréquentent ensemble. La clausule éteint le soleil par une pluie battante, la pénombre glacée prend le pas sur la lumière blafarde initiale.
C’est dire que le parcours du héros, descente aux Enfers, passe par l’esthétique ; il est redoublé par la dégradation physique de Ned qui, d’athlète magnifique, se foule la cheville et clopine. Ses pieds sont meurtris, ensanglantés, au point qu’il faut les laver plusieurs fois. Burt Lancaster l’incarne à merveille, séduisant, terrifiant et bouleversant à la fois, au service d’un chef-d’œuvre qui brosse le portrait d’un homme tour à tour incarnation du rêve américain et déchu dans un microcosme bourgeois où règnent hypocrisie, vide et ennui.