Substitute : les secrets du tournage

Objet de toutes les curiosités et de toutes les interrogations, Substitute a été bien accueilli par les cinéphiles, puisque le film a remporté en 2006 le Prix du Film français au prestigieux Festival de Belfort. L'année suivante, il a en outre été sélectionné au Festival de Berlin dans le cadre du Forum.

A l'origine de l'association cinématographique entre un musicien et un footballeur... un article de journal ! Fred Poulet se souvient : "L'existence de ce film tient beaucoup à l'aspect insolite de notre rencontre. Vikash Dhorasoo m'a contacté en 2004 après avoir lu un article que j'avais rédigé dans la revue Vacarme. Une sorte de prière littéraire pour le rencontrer et éprouver quel dialogue on pouvait avoir avec une personne considérée comme l'intellectuel du football français. Ce numéro de la revue lui est tombé miraculeusement entre les mains et nous n'avons cessé de parler depuis. Assez pour que mes motivations au moment de lui proposer une expérience artistique soient transparentes et procèdent réellement d'un désir commun. Mes objectifs au départ se situaient sur différents plans. Sur le plan humain, j'ai senti chez Vikash une disponibilité à l'expérience inédite, une curiosité et une sensibilité qui me laissaient penser qu'il pouvait développer un rapport amical avec une caméra et trouver une forme de langage cinématographique."

Avec son petit gabarit (1,68m) et sa forte personnalité, Vikash Dhorasoo, amateur de rock et de littérature, parrain du Paris Foot Gay, critiqué pour son individualisme, affiche sa singularité dans l'univers footballistique français -et en a souvent payé le prix. Né le 10 octobre 1973 à Harfleur, d'origine indo-mauricienne, le jeune Vikash Dhorasoo intègre le Havre Athletic Club. Ce milieu de terrain ne tarde pas à se faire remarquer, et rejoint en 1998 l'Olympique Lyonnais (champion de France 2003 et 2004). Sélectionné une première fois en équipe de France en 1999, il entre en conflit avec Paul Le Guen, l'entraîneur de l'OL et part pour une saison au Milan AC en 2004 avant d'arriver l'année suivante au PSG. Une fois encore, les relations avec l'entraîneur Guy Lacombe ne sont pas au beau fixe. Se sentant humilié par ses mises à l'écart successives, et ne se privant pas de le faire savoir, il est mis à pied en octobre 2006 -ce licenciement d'un joueur professionnel est une première. Choisi par Raymond Domenech, l'entraîneur des Bleus, pour faire partie de l'équipe de France lors de la Coupe du Monde 2006, Dhorasoo vit mal le fait de n'avoir quasiment pas été appelé sur le terrain -c'est tout l'objet de Substitute. Le film a d'ailleurs été une source de conflit supplémentaire : le sélectionneur des Bleus Raymond Domenech a exprimé son désaccord face à cette initiative, redoutant que le joueur ne filme ses coéquipiers.

S'il est depuis son plus jeune âge intéressé par l'image, Fred Poulet s'est jusqu'à présent surtout fait un nom comme chanteur dans la scène alternative française. Il enregistre dans les années 90 trois albums sur le prestigieux label de Pierre Barouh Saravah (le titre du premier d'entre eux témoigne de son goût pour l'ironie : Mes plus grands succès), avant de se rapprocher d'un autre fameux expérimentateur, Rodolphe Burger, leader de Kat Onoma. Réalisateur de clips (pour des artistes tels que Piers Faccini ou Franck Monnet), auteur de textes (pour Jeanne Balibar notamment), il est aussi passionné de sport : sa chanson la plus connue ne s'appelle-t-elle pas Walking Indurain, et son cinquième album Milan Athletic Club. En janvier 2007, peu avant la sortie de Substitute, il propose en compagnie de la contrebassiste Sarah Murcia un spectacle constitué de reprises décalées, preuve supplémentaire de l'éclectisme du garçon...

Fred Poulet revient sur les partis pris esthétiques et narratifs de ce film à part : "Sur le plan esthétique, je me sens à ma place en réalisant quasi clandestinement un film en Super 8. L'imprécision de l'image m'est apparue nécessaire pour saisir la vie au delà du spectaculaire. Les états d'âme, la complexité et les paradoxes qui en découlent sont restés la matière privilégiée de tous mes travaux. Le procédé repose également beaucoup sur les contraintes imposées par le format super huit. Les bobines de trois minutes, le bruit de la caméra et son encombrement obligent Vikash à se situer dans l'acte de filmer et interdisent la position que pourrait avoir une caméra de surveillance. Sur le plan narratif et dramatique j'ai voulu imbriquer et articuler l'incertitude du déroulement sportif, donc chronologique, de l'expérience artistique avec la caméra et de l‘évolution des sentiments de l'acteur. Le fait de borner les prises de vues au 9 juillet 2006 quoi qu'il arrive nous a permis de filmer dans la conscience d'une résolution inévitable et par conséquent peut être d'une histoire."