« Sommeil blanc » surprend par sa maîtrise, par la puissance de ses images et par l’intensité de son portrait de femme. Le film jongle intelligemment avec les genres, mais possède surtout un incroyable pouvoir d’évocation visuelle. Il y a un mystère puissant au cœur du film, qui palpite dans chaque image, et qui nous habite longtemps après la fin de la projection.
Non pas que l’histoire soit complexe, elle suit au contraire une belle « ligne claire », celle de Camille, jeune mère récemment endeuillée qui va faire son travail de résilience au contact d’un jeune garçon surgit de nulle part. D’où vient cet inconnu, visiblement aussi perdu qu’elle ? Est-il un fantôme ? Un fantasme ? Un vrai enfant égaré ? Le film a l’intelligence de jongler avec ces possibles sans trancher. Car il s’agit avant tout de dresser le portrait intime d’une femme, de plonger dans sa psyché, en acceptant l’irrationalité et le mystère de ses pulsions. Car tout se joue dans cet entre-deux du réel et de l’imaginaire que Freud nommait « l’inquiétante étrangeté ». Le talent du cinéaste est d’avoir traité cette introspection avec les seules armes du cinéma, par la mise en scène, la lumière, le cadre, le décor. En évitant toute psychologisation et en faisant uniquement appel au pouvoir d’évocation poétique du cinéma, celui d’un travail sur les sensations pures.
Malgré quelques maladresses (le personnage de Marc Barbé, sous-exploité), sa construction dramatique sous forme de puzzle est habile et invite le spectateur à nourrir la fiction. On découvre le passé par éclats, où se mêlent réel et onirisme, et le film s'imprime en nous comme on émerge d'un rêve. .
Cela n'empêche pas "Sommeil blanc" d'être parcouru d’une tension sourde, d’une intensité dramatique qui est d’autant plus impressionnante que le cinéaste refuse les effets faciles. Pas de surcharge, juste une ligne filmique claire et droite où rien ne manque, où rien n'est de trop. Jean-Paul Guyon choisi la sobriété, ce qui devient exceptionnel dans le cinéma contemporain. Il filme magnifiquement Hélène de Fougerolles, ses regards, ses traits. Peu de cinéastes savent filmer un visage, le laisser s'exprimer, guetter simplement un signe ou l'abandonner à lui-même. Peu également osent faire place au silence et lui permettre de s'imposer.
Guyon a aussi un talent rare pour construire des ambiances, pour faire naître le trouble au détour d’un regard, pour faire entrer le spectateur dans le blanc de l'inconscient. Ce blanc sur lequel lentement des traces apparaissent, des craquelures, les salissures de la mémoire.
Quant au traitement de l'histoire, il présente quelques problèmes de rythme (dans la seconde partie), mais l’ensemble a une belle tenue. Inspiré d’un roman de Georges Jean Arnaud, auteur prolixe bien qu’un peu oublié, le film parvient à créer un réalisme onirique de première force. On se laisse hypnotiser par une mise en scène ample et précise, qui séduit par la justesse de son regard et qui façonne habilement le monde pour en faire l’écho de l’intériorité de son héroïne. Car dans ce film entre chien et loup de la conscience, le réel de cette femme blessée se teinte en effet progressivement d'une nuance fantastique qui laisse la part belle au doute le plus insidieux. Car voilà l'inquiétude suprême : le décollement de la réalité. En un sens, n'est-ce pas un autre mot pour parler de la subjectivité et de la manière pour chacun de se projeter dans le monde ?