Les fêtes de fin d’année ont plein d’histoires à raconter. L’une d’elles franchit un cap et bouscule quelque peu les habitudes des cinéphiles, cherchant un peu plus le détournement, malgré un contexte convivial et jovial. Bob Clark nous amène au plus proche d’un cauchemar, ce mauvais rêve qui nous murmure toute l’angoisse qui le compose. Le réalisateur prend ainsi un malin plaisir de faire léviter sa caméra, avec une grande efficacité et jouant sur toutes les tonalités, en piégeant le spectateur dans son théâtre de l’horreur. Et il serait futile de s’attarder sur la paternité du slasher, un sous-genre qui ne trouvera une définition stable que dans les années à venir. Son œuvre constitue ainsi un Whodunit qu’à moitié fonctionnel, mais constitue toutefois une expérience sensorielle complète.
Pas de visage pour cette menace, rien de concret, juste un reflet. Cela commence par des mains, des pieds, une respiration soutenue ou un œil malveillant qui apparait dans la pénombre d’une sororité d’étudiantes. Ce que l’on développe à travers cette entité que l’on découvre à la première personne, c’est son intrusion inarrêtable et furtive, comme s’il serait si facile de se glisser sous le lit de ses victimes. Le boogeyman fait aussi bien partie des légendes urbaines que les contes les plus obscurs, mais ici rien de surnaturelle si ce n’est cette voix possédée à l’autre bout du fil. D’un harcèlement à des meurtres impulsifs, difficile de trouver ses repères et pourtant, on y trouve plusieurs thématiques liées à la déchéance humaine. Les filles et femmes y sont caractérisées par leur personnalité, tantôt forte, tantôt futile, tantôt fragile. Certaines sont sujettes à l’avortement, d’autres l’alcoolisme. Ces fléaux sont déjà identifiables comme condamnables, dans la mesure où les conventions sociétales les isolent volontairement.
Et on pourra en apprendre un peu plus à chaque intervention d’un homme dans cette communauté pourtant harmonieuse, malgré sa diversité. Ils sont principalement évalués comme toxiques, si ce n’est comme incompétents voire passifs, ce qui est encore pire. Parallèlement, les vices sont généralement punis à l’unanimité, mais ce pouvoir ne revient plus à un entourage qui se montre solidaire, bien au contraire. Le fameux tueur surfe sur les fractures du groupe et s’imprègne ainsi du chaos qui règne peu à peu et qui divise les protagonistes, comme si la confiance deviendrait un luxe qu’il n’est plus permis de convoiter pour ses propres intérêts. Le film relâche rarement son emprise sur les pensionnaires, qui tardent à définir les limites de conduites, car le mal est fait et son incarnation est en route pour cristalliser ses actions. Mais tout ce qui rend la terreur crédible, c’est bien le hors-champ et l’imaginaire du spectateur qui ne peut que spéculer sur l’identité de l’intrus et des potentielles victimes à le confronter. Il n’y a donc aucun sentiment d’urgence lorsque l’on observe, avec mépris et voyeurisme, l’étoile ensanglantée au sommet du sapin.
Clark a su proposer une atmosphère pesante, dénuée de bande-son lorsque cela devient nécessaire. Il ne résonne que des hurlements de douleur, un parquet qui grince et des souffles de plus en plus faibles au service du divertissement. « Black Christmas » s’illustre comme un atout majeur dans la codification du slasher et du survival. Qu’il soit le premier ou non, il fait partie d’un embryon qui ne demande qu’à murir et à muter en quelque chose de moins abstrait et peut-être plus audacieux graphiquement. De nombreux dérivés s’approprieront habilement de cet étalon, tandis que d’autres ne l’égaleront pas, car ils en oublieraient de servir un propos ou simplement des enjeux pertinents. Il nous rappelle également qu’avant l’ère Carpenter, il ne faut pas oublier cette petite dinde sucrée, dont le moule a continué d’inspirer bien d’autres cinéastes.