C'est la fille de Jacques Tati, Sophie Tatischeff également réalisatrice, qui a transmis le scénario inachevé à Sylvain Chomet. Informée de l'intérêt du réalisateur et enthousiasmée par Les Triplettes de Belleville, elle prend elle-même contact avec le producteur Didier Brunner et lance le projet. Ainsi "légitimé", Chomet est plus libre : "Je me suis senti accepté, bienvenu, "validé", en quelque sorte par Sophie. Et non pas "écrasé" par la silhouette de Tati. Je connaissais très bien son cinéma, ses films, car il a toujours fait partie de ma vie." Il reprend ainsi le flambeau de son glorieux aîné et ne retouche que ce qui s'avère nécessaire : "J’ai changé seulement 30% du script, principalement parce qu’il y avait des scènes qui avaient été visiblement moins développées que d’autres, ou que Tati devait avoir visualisées avec tant de précision dans sa tête qu’il ne les avait décrites que de manière incomplète, elliptique, dans ses notes."
Là où l'intention des Triplettes de Belleville était de construire une atmosphère "baroque" notamment par une densité de plans importante ( environ 1300 ), Sylvain Chomet s'est ici inspiré de l'univers simple, construit par le scénario. Le réalisateur rappelle la difficulté de cette entreprise contraignante consistant à raconter une histoire "d'une apparente simplicité", difficulté particulièrement sensible vu le nombre très réduit de plans ( seulement 400 ), et vu l'absence quasi-totale de dialogues.
En contre-pied à la mode uniformisante qui fait de la 3D un critère prétendument incontournable dans l'animation (et ailleurs), l'utilisation de la 2D est ici revendiquée comme un choix artistique. Ainsi nous l'explique le producteur, Bob Last : "L’illusionniste est un challenge immense d’un point de vue technique et créatif, pas seulement parce que les films en 2D n’ont plus la main mise sur l’animation. Mais surtout en termes d’animation des personnages et d’attention aux détails".
Même s'ils ne figurent pas au générique, la participation du duo Jérôme Deschamps et Macha Makeieff, entre autres fondateurs du spectacle décapant des Deschiens, a été capitale. Deschamps gère depuis des années l'héritage de Jacques Tati à travers sa compagnie Les Films de Mon Oncle. Neveu du réalisateur, il a joué à ce titre un rôle prépondérant de conseil et d'accompagnement. Sylvain Chomet exprime son admiration : "Ils m’ont épaulé, et même tenu à bout de bras. C’était vraiment un délice de les avoir auprès de moi, parce que c’est un film qui a duré longtemps, qui a été difficile à faire, et ils ont toujours été présents. Ce sont des gens que je respecte énormément (...) Et ils m’ont accordé une telle confiance que cela m’a permis de tenir jusqu’au bout."
Réalisé pour plus de 11 millions d’euros (dont 9 entièrement dépensés en Ecosse, faisant de ce film le plus cher de l’histoire du cinéma écossais), le long métrage a été successivement attendu à Cannes l’an dernier, puis à Venise et enfin à Toronto pour finalement rester dans les cartons. Sylvain Chomet prenant son temps pour peaufiner le moindre détail, c'est donc finalement à Berlin (11-20 février) que L'illusionniste est présenté pour la première fois au public.
Présenté comme un "jeu" de la part du réalisateur, le film réussit la prouesse de raconter une relation intime entre deux personnages sans ne jamais effectuer de gros plan. Il s'agit là aussi d'une marque de fabrique de Tati, qui racontait toutes ses histoires à "hauteur d'homme", sur la base de cadres larges où les personnages sont toujours "de pied".
Au lendemain de l'inattendu et remarqué succès des Triplettes, Sylvain Chomet ouvre son studio Django Film en 2004 et choisit son emplacement sur les terres des Highlands, à Edimbourgh. L'ambiance brumeuse et mélancolique, si caractéristique de ces grands espaces, lui sied à tel point qu'il l'adopte alors pour ce film.
Le deuxième long-métrage du réalisateur des Triplettes de Belleville est fondé sur un scénario du réalisateur de Play Time, Jacques Tati. Mais comme l'explique Sylvain Chomet à propos de la matrice du scénario, le personnage principal serait en fait davantage une représentation de l'homme Tati dans la vraie vie que du Monsieur Hulot qui l'a rendu célèbre. C'est lorsqu'il est sur scène, en plein exercice de ses cabotinages si distinctifs, que l'on se prend à revoir l'incomparable interprète de Mon oncle.