La fille coupée en deux s'inspire d'un fait divers retentissant : l'assassinat du célèbre architecte new-yorkais Stanford White en 1906. Cet homme à (jeunes) femmes a été tué, à l'âge de 52 ans, alors qu'il assistait à à un spectacle. Son meurtrier est Harry Thaw, un playboy millionnaire, qui était l'époux de son ex-maîtresse, Evelyn Nesbit, une jolie mannequin et actrice de music-hall, alors âgée de 22 ans. Les jurés n'ayant pu se prononcer sur la culpabilité de Thaw au terme du premier procès, un deuxième procès a suivi, et cette fois les jurés ont déclaré le prévenu non-coupable, attribuant son geste à sa "démence". Cette histoire a déjà fait l'objet d'un film, La Fille sur la balançoire (1955) de Richard Fleischer, avec Ray Milland dans le rôle de White, Joan Collins dans celui de Nesbit et Farley Granger dans celui de Thaw. Ce crime a également été évoqué par Milos Forman dans Ragtime. Ajoutons que Claude Chabrol s'est souvent inspiré de faits divers : on peut citer Landru, portrait du fameux criminel des années 1910, Les Noces rouges, d'après l'affaire des "Amants diaboliques de Bourganeuf", Violette Nozière, l'histoire d'une jeune fille qui empoisonna ses parents en 1933 ou Une affaire de femmes, à propos de Marie-Louise Giraud, "faiseuse d'anges" en 1943.
Claude Chabrol revient sur l'écriture du scénario, en compagnie de sa belle-fille Cecile Maistre, et en particulier sur la volonté de transposer le fait divers : "Nous souhaitions nous attacher à la seule réalité du fait divers pour souligner, un peu à la manière d'un entomologiste, ce qu'elle révèle d'énorme sur la nature humaine ! Il nous a donc semblé essentiel de transposer complètement cette affaire, sans nous préoccuper aucunement du lieu, de l'époque ou de la psychologie des personnages réels. D'ailleurs, je dirais même que ce fait divers est plus facilement envisageable – et donc transposable – aujourd'hui qu'à l'époque où il s'est déroulé."
Claude Chabrol parle du choix des trois comédiens principaux : "Avec François Berléand, une complicité est née dès L'Ivresse du pouvoir. C'est un homme que j'aime énormément avoir sur mon plateau. Comme je sais que c'est un vrai séducteur dans la vie, j'avais envie de montrer cette facette de son personnage. Cela fait quelques années que j'avais envie de travailler avec Ludivine Sagnier, mais j'ai vraiment décidé de lui confier le rôle de Gabrielle quand je l'ai vue en fée Clochette dans Peter Pan ! J'avais déjà dirigé Benoît Magimel dans La Fleur du mal et La Demoiselle d'honneur, où il incarnait des personnages très différents. Pour La Fille coupée en deux, il a pris beaucoup de risques en allant loin dans la schizophrénie. En outre, ce qui est formidable chez lui, c'est qu'il est capable d'incarner toutes les classes sociales."
L'héroïne, Gabrielle, peut apparaître comme tantôt innocent et tantôt calculateur. Le cinéaste précise : "Elle est encore intègre, mais elle est tentée de se diviser. C'est pour cela qu'elle incarne pleinement la “fille coupée en deux” du titre. Gabrielle est une jeune fille innocente dans sa crédulité même. J'adore la scène où elle s'amène avec une plume dans les fesses dans le bureau de Saint-Denis : celui-ci lui demande si elle ne se sent pas humiliée et elle lui répond qu'elle ne se sent même pas ridicule ! C'est une preuve magnifique de don de soi, et c'est précisément ce que son entourage ne peut supporter." A propos d'innocence, Chabrol explique que son intention était "d'explorer le thème de la perversion sans jamais en montrer". II ajoute : "C'est un film d'une chasteté totale alors que les personnages sont hantés par les idées les plus perverses. J'ai été beaucoup aidé par le personnage de Mathilda May qui dégage une étrange sensualité : en la voyant, on se demande aussitôt dans quel univers on s'est aventuré."
Deux ans après Valérie Kaprisky dans Mon petit doigt m'a dit de Pascal Thomas, c'est un autre sex symbol des années 80 qui retrouve le chemin des plateaux : Mathilda May Sa dernière apparition dans un film français remonte à l'année 2000, il s'agit de Là-bas, mon pays d'Alexandre Arcady. Entretemps, elle a tourné dans des téléfilms et s'est consacrée à l'écriture. On se souvient d'elle dans Trois places pour le 26, La Passerelle, Toutes peines confondues... mais aussi Le Cri du hibou de Claude Chabrol, un polar avec Christophe Malavoy d'après l'oeuvre de Patricia Highsmith. C'était en 1987, vingt ans avant cette Fille coupée en deux...
Le thème du double, des apparences trompeuses, est au coeur du film. Le cinéaste donne quelques exemples. Tout d'abord, la maison de l'écrivain : "C'est un monde en trompe-l'oeil où l'atmosphère sexuelle qui y règne livre une clé au spectateur sur les événements qui vont suivre." Ensuite, l'univers du petit écran : "J'ai montré les coulisses de la télévision telles qu'elles existent, avec le fond vert du plateau sur lequel on incruste les images et le présentateur qui fait des gestes dans le vide. Ce qui m'intéressait, c'est qu'il s'agit d'un univers de trucages qui renvoie directement au monde des apparences et des faux-semblants dans lequel évoluent les personnages." Enfin, l'intervention d'un magicien à la fin du film : "L'idée, c'est que la magie est un trucage qui s'ajoute à ceux de la télévision ou du monde de l'édition... Le salut dans un univers truqué ne peut venir que d'un trucage supplémentaire. Le titre, qui renvoie lui-même à la magie, pourrait être allégorique, alors qu'il n'en est rien..."
Comme souvent chez Claude Chabrol, on assiste dans La Fille coupée en deux à une opposition entre différents milieux sociaux. "On a ici affaire à deux classes sociales qui s'affrontent à pas feutrés : celle des anciens possédants représentés par les personnages de Caroline Silhol et Benoît Magimel et celle des faux puissants -les gens de la télévision et de l'édition qui ne maîtrisent que le pouvoir temporel."
Claude Chabrol aime tourner en famille. Pour la musique, il a ainsi une fois de plus fait appel à son fils Matthieu. Devant la caméra, dans le rôle de l'avocat, malicieusement nommé Maître Stéphane Lorbach, on retrouve son autre fils Thomas. Quant à Cecile Maistre, la fille de son épouse Aurore, elle est à la fois co-scénariste (pour la première fois), première assistante réalisatrice, assistante casting... et comédienne : elle incarne la serveuse.
Ils ne font pas partie de la famille, mais c'est tout comme. La Fille coupée en deux marque la cinquième collaboration de Claude Chabrol avec le chef-opérateur Eduardo Serra, la neuvième avec la décoratrice Françoise Benoît-Fresco et la vingt-cinquième avec la monteuse Monique Fardoulis (sans compter les téléfilms !).
L'affiche de La Fille coupée en deux est l'oeuvre de Miss.Tic, artiste plasticienne secrète (on ne connaît pas son véritable nom), célèbre pour les textes, illustrations, autoportraits, qu'elle imprime sur les murs de Paris selon la technique du pochoir. Des dizaines d'expositions et d'ouvrages (mais aussi un procès intenté, et gagné, par un propriétaire d'immeuble en 1999...) jalonnent son parcours. Elle a déjà conçu des affiches pour la fête de l'Humanité ou pour Ecrits d'amour, une pièce de théâtre avec Bernadette Lafont (actrice chabrolienne...), mais c'est la première fois qu'elle signe une affiche de cinéma.
Benoît Magimel et Ludivine Sagnier se retrouvent huit ans après Les Enfants du siècle de Diane Kurys : le comédien y jouait le rôle du poète Alfred de Musset et la comédienne celui de sa soeur Hermione.
Avant d'être cinéaste, Claude Chabrol fut critique, mais il travailla également comme attaché de presse pour la Fox. Et l'un des films dont il s'est occupé à l'époque est... La Fille sur la balançoire.
Amateur de clins d'oeil, Claude Chabrol a confié un petit rôle à son vieux complice André Asséo, journaliste et écrivain dont les cinéphiles connaissent bien la voix : il fut pendant de longues années le producteur et animateur de l'émission hebdomadaire de France Inter consacrée au Septième art : Les Etoiles du cinéma (rebatisée ensuite Cinéfilm). Il a collaboré à l'écriture d'un livre de souvenirs de Claude Chabrol, Laissez-moi rire !, paru en 2004.