55 Days at Peking est une bien curieuse fresque historique, puisque le spectaculaire des affrontements, par ailleurs mis en scène avec talent par Nicholas Ray, et la superbe des joutes verbales entre les personnages se voient constamment minés de l’intérieur par une dissonance, une inconvenance, une incongruité. Pensons aux deux jeunes enfants d’Arthur qui s’amusent avec le chien et supplient leur père de l’emporter en Angleterre, ce qui donne lieu à une boutade convoquant le roi Salomon ; pensons à l’image de la richesse entretenue par le collier qui, seul, sait habiller une femme – « être nue, c’est être sans collier », adage répété deux fois ; pensons à ce prêtre occupé à armer le canon et à mettre le feu aux poudres tout en reconnaissant la pénibilité du métier de soldat. Ray signe une œuvre de décadence sur la fin d’un monde et d’une dynastie, persuadée d’être perdue parce qu’elle refuse de voir les bienfaits de la mixité, une œuvre qui défend un principe et se plaît à cultiver les ruptures de ton, passant de la franche camaraderie entre les officiers aux échanges déconcertants d’authenticité entre Matt et la jeune fille d’Harry tombé au combat, qu’il emportera à terme sur son cheval. Ray aborde la guerre et l’agrégation des nationalités comme un grand spectacle pour enfants, se délectant des bévues, des hésitations, des silences qui d’ordinaire ne trouvent pas là terre d’élection ; il semble défendre à ce titre une vision cosmopolitique du monde : les peuples et les cultures ont vocation à se mêler, se conquérir pour mieux s’enrichir mutuellement. La jeune fille en est l’incarnation vivante, et son départ vers l’inconnu atteste bien un acte de foi en l’humanité saisie dans sa diversité fondamentale. Comme le cinéma de Nicholas Ray, les personnages, et l’homme qu’ils représentent, sont en mouvement permanent, opposent à la fixité des normes et des valeurs sociétales une itinérance associée à la révolte – ici explicitement politique –, symbolisée en ouverture par ce plan-séquence confondant les hymnes nationaux. « Les inconnus sont parfois les meilleurs amis d’un soldat », indique Matt. Tout est dit. En dépit de ses longueurs, 55 Days at Peking reste un long métrage important dans la filmographie du cinéaste et offre un divertissement historique soigné, porté par de très bons acteurs.