L'heure zéro : les secrets du tournage

Avec L'Heure zéro, Pascal Thomas porte pour la deuxième fois à l'écran un roman d'Agatha Christie. En 2005, il signait Mon petit doigt m'a dit, adaptation de By the pricking of my thumbs, roman dont les héros sont Tommy et Tuppence Beresford (interprétés dans le film par André Dussollier et Catherine Frot). Cette fois encore, le cinéaste n'a pas choisi une aventure de Miss Marple ou Hercule Poirot, les deux plus fameux personnages de la romancière. L'homme qui mène l'enquête est le superintendent Battle, rebaptisé Commissaire Bataille et campé par François Morel. Dernier des cinq ouvrages dans lesquels apparaît Battle, L'Heure Zéro ("Towards zero en v.o) a été publié en 1944.

Les derniers films de Pascal Thomas se caractérisent par des castings aussi foisonnant que riche en surprises. A propos de celui de L'Heure zéro, le réalisateur explique : "C'est une distribution comme j'aime en voir au cinéma, bâtie autour d'acteurs notoires et enrichie par des comédiens aux finesses complémentaires, aux subtilités enjouées qui remplissent parfaitement des rôles sans lesquels l'ensemble perdrait de son caractère. J'aime ces brassages, ces mélanges avec des comédiens venus d'horizons différents, la plus haute tradition du jeu côtoyant la spontanéité du débutant. Pour le choix d'un personnage, je m'arrête d'abord à ses yeux. C'est d'ailleurs ce par quoi Rembrandt commençait ses portraits. Je commence toujours par le regard, ensuite viennent le phrasé, la silhouette, l'allure."

Pascal Thomas parle de sa passion pour l'oeuvre d'Agatha Christie : "J'ai été dès ma première adolescence et durant toute ma jeunesse un grand lecteur. Je le suis encore. Agatha Christie fait partie de ces auteurs dont j'ai lu les oeuvres complètes d'une traite, comme j'ai dévoré d'un seul tenant Léautaud, Simenon ou Balzac. J'ai donc eu très tôt une connaissance intime de l'univers d'Agatha Christie (...) Parmi les quatre ou cinq lignes de force qui traversent le cinéma, on trouve la comédie, le fantastique et le mystère, ce dernier souvent teinté de morbidité. L'imagination d'Agatha Christie réunit ces courants, lesquels s'accordent à mes goûts à la fois littéraires et cinéphiliques."

Danielle Darrieux, alias Mme Tressilian dans L'Heure zéro, est l'une des rares comédiennes françaises à avoir déjà joué dans un film inspiré de l'oeuvre d'Agatha Christie : c'était Le Coffret de laque, une production franco-britannique réalisée par Jean Kemm, et qui date de... 1932.

Chiara Mastroianni et Melvil Poupaud, ex-mari et femme dans L'Heure zéro se connaissent depuis très longtemps. Amis d'enfance, ils ont souvent eu l'occasion de se donner la réplique : dès 1994, ils figurent au générique de A la belle étoile. Après un court métrage de Laurent Tuel, ils se retrouvent en 1996 devant la caméra de Danièle Dubroux (Le Journal du séducteur) et Raoul Ruiz (Trois vies et une seule mort -mais le Chilien les dirigera aussi dans Le Temps retrouvé). Depuis L'Heure zéro, ils ont tourné dans Un conte de Noël d'Arnaud Desplechin -dans lequel ils forment encore un couple.

Le réalisateur explique ce qui différencie les romans Mon petit doigt m'a dit et L'Heure zéro : "Dans Mon petit doigt m'a dit, malgré la noirceur profonde de l'intrigue, il s'agit de romanesque débridé. L'Heure zéro est une mécanique manipulatoire, mentale et hyperpréméditée. Mon petit doigt m'a dit relève de la comédie policière, même si elle tourne ensuite au fantastique, alors que L'Heure zéro est une tragédie criminelle, un genre que les auteurs classiques ont toujours utilisé afin de montrer le pôle le plus sombre de l'humanité. Mon petit doigt m'a dit est un récit ouvert alors que L'Heure zéro suit une logique implacable dont on ne doit pas s'écarter pour l'adapter à l'écran. Dans Mon petit doigt m'a dit, le spectateur s'identifie au couple Beresford formé par Catherine Frot et André Dussollier ; dans L'Heure zéro, le récit policier met le spectateur dans la situation du promeneur sur la berge, qui regarde quelqu'un en train de se noyer sans pouvoir intervenir."

Pascal Thomas situe L'Heure zéro dans son oeuvre : "Depuis mes débuts, je me suis intéressé au groupe humain, mais jusqu'à présent, j'avais toujours privilgié l'innocence et la bonté. Dans mon film précédent, Le Grand appartement, la famille constituait un paradis menacé et une utopie en action. Alors qu'ici elle serait plutoˆt véneneuse ! Je crois que Le Grand appartement était le point culminant de mon versant optimiste, traitant de relations basées sur la candeur et non sur l'intérêt. Je pense que ce type de relations disparaît peu à peu. J'ai cherché longtemps comment traiter ce thème de l'innocence perdue. Jusqu'à ce que je m'attelle à adapter le romanesque noir d'Agatha Christie. Par ce biais, il m'a été possible de m'attaquer à des choses plus sombres qui ont pu traverser ma vie sans que cela paraisse trop personnel et cela m'a permis de montrer d'autres aspects de la nature humaine."

Le réalisateur a confié l'un des rôles principaux de son film, l'étrange voyageur Thomas Rondeau, à son fils Clement Thomas, qu'il a déjà dirigé à plusieurs reprises, et ce dès son plus jeune âge : il apparaît, enfant, dans Confidences pour confidences, en 1978.

Pascal Thomas joue un petit rôle dans le film, celui d'un médecin légiste.

Quelques mois avant L'Heure zéro sortait Persepolis. Dans ce film d'animation de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Chiara Mastroianni prête sa voix à l'héroïne, tandis que Danielle Darrieux prête la sienne à la grand-mère de celui-ci.

Avec plus de deux milliards et demi d'ouvrages vendus à travers le monde, Agatha Christie est le deuxième auteur le plus lu, après William Shakespeare. Son oeuvre a donné lieu à des dizaines de films, à partir de la fin des années 20. L'auteur elle-même considérait que la première adaptation réussie était Témoin à charge de Billy Wilder (1957). Dans les années 70, plusieurs films, bénéficiant d'une distribution prestigieuse, ont été tournés à partir des polars de Christie : citons Dix petits nègres de Peter Collinson avec Richard Attenborough, Charles Aznavour et Oliver Reed en 1974, Le Crime de l'Orient-Express de Lumet avec entre autres Albert Finney, Lauren Bacall et Ingrid Bergman (1974), Mort sur le Nil de Guillermin, avec Peter Ustinov, Jane Birkin et Bette Davis (1978) ou encore Le Miroir se brisa de Hamilton avec Tony Curtis, Rock Hudson et Kim Novak (1980). Avant Pascal Thomas, aucun réalisateur français n'avait porté à l'écran un roman de la reine du suspense, si on excepte René Clair dans sa période américaine (Dix Petits Indiens en 1945) et, encore avant, Jean Kemm en 1932 (Le Coffret de laque). Depuis, Pascal Bonitzer a tourné Le Grand alibi, d'après Le Vallon. Jusqu'en l'an 2000, les héritiers de l'écrivain exigeaient des cinéastes une fidélité scrupuleuse aux romans d'origine (l'action devait par exemple forcément se dérouler dans les années 20 à 60), ce qui a pu freiner les ardeurs de certains. Le petit-fils d'Agatha Christie a, depuis, déclaré que sa famille ne s'opposerait plus à des adaptations plus libres.

Marie Gillain avait été pressentie pour jouer dans L'Heure zéro. Notons que quelques mois après le tournage de L'Heure zéro, l'actrice belge a remplacé Laura Smet sur le plateau des Femmes de l'ombre de Jean-Paul Salomé...