Natacha Régnier et Denis Podalydès formaient le couple central de Vert paradis, premer long métrage d'Emmanuel Bourdieu. La comédienne était aussi la seule fille au milieu de la bande de garçons des Amitiés maléfiques, son deuxième film. Mais Denis Podalydès, ami de Bourdieu depuis le lycée était également le héros de Candidature et des Trois théâtres, ses courts métrages très remarqués, et a collaboré avec lui à plusieurs reprises au théâtre.
Emmanuel Bourdieu précise ses intentions : "S'il fallait le résumer en quelques mots, je dirais que c'est un film sur la façon dont la vie fait de nous des monstres. Et, par conséquent, sur la familiarité que l'on peut ressentir face à des personnages monstrueux, parce qu'on sent qu'on peut leur ressembler. C'est ce qui me plait dans le cinéma de Cronenberg : il nous oblige à nous reconnaître dans la monstruosité de ses personnages. Dans cette histoire venimeuse, les personnages sont des prédateurs, et ils sont agis par la violence de leurs passions. Il y a un passage à l'extrême, hors limites, chez chacun d'eux. J'aurais pu dire aussi que Intrusions est un film sur la violence infinie de la passion. Plus précisément, les personnages de cette histoire sont, tous à leur manière, des tyrans, cherchant constamment à faire intrusion dans la vie des autres, à forcer leur intimité au nom de leur passion."
Emmanuel Bourdieu évoque le travail de préparation avec Natacha Régnier : "Je [lui] ai demandé de donner à son personnage un maintien très strict et permanent ; tout est tenu, retenu, sauf que malgré tout, ce qu'elle fait, ce qu'elle dit, c'est de la brutalité pure (...) Si j'ai insisté, auprès de Natacha Régnier, pour qu'elle ait un maintien et presque une raideur de jeune fille bien élevée, c'est pour essayer d'exprimer ce que cette droiture, cette tenue peut avoir de beau et d'impressionnant. Je voulais lui donner une proportion tragique, qu'elle ait l'allure d'une princesse et pas seulement d'une jeune fille réelle, ordinaire." Dans cette perspective, l'actrice a suivi des cours de danse avec la chorégraphe Chris Gandois.
L'univers du théâtre passionne Emmanuel Bourdieu, qui a choisi pour ce film des comédiens connus pour eur prestations sur les planches, de Denis Podalydès à Françoise Gillard -tous deux sociétaires de la Comédie-Française- en passant par Jacques Weber et Eric Elmosnino. Ce goût pour le théâtre se retrouve dans ses méthodes de travail avec les acteurs. "Pendant qu'on se préparait à tourner, je leur ai demandé de faire, comme au théâtre, des " italiennes ", c'est-à-dire de dire le texte, sans expression, le plus vite possible. Ils se sont très scrupuleusement prêtés à ce jeu", se souvient-il. Bourdieu a procédé ainsi car il souhaitait que la deuxième partie du film se caractérise par la vitesse : "je voulais un tourbillon continu d'événements et de paroles à l'intérieur duquel tous les comédiens, à mesure qu'ils entraient en scène, étaient entraînés".
Père et fille dans Intrusions, Jacques Weber et Natacha Régnier se donnent pour la première fois la réplique... après un rendez-vous manqué : le premier devait diriger la seconde dans l'adaptation théâtrale du Vieux juif blonde d'Amanda Sthers, mais suite à un conflit entre l'auteur et le metteur en scène, le projet n'a pas abouti.
Les comédiens expriment leur admiration pour Emmanuel Bourdieu : "Ma confiance aveugle dans son travail me permet de jouer sans aucune retenue. Il n'est jamais dans le conflit, dans le rapport de pouvoir (...) Et Emmanuel témoigne de respect pour les acteurs qu'il a engagés (...) Avec lui, on a l'impression de sauter en chute libre... ce moment d'élan dans le vide est très agréable", confie Natacha Régnier. De son côté, Denis Podalydès note : "(...) j'apprécie particulièrement son sens de l'apparence. Il sait rectifier un port de tête, la position d'une main, l'intelligence d'un regard. Le détail microscopique, il ne le rate pas (...) Il a en lui une telle réserve de délicatesse qu'il peut insensiblement, sans à coup, infléchir le jeu d'un acteur. Il a aussi, et je suis toujours surpris de le vérifier, l'art de rendre les acteurs beaux, élégants. Il leur confère un charme, une tenue."
Pour la musique, Emmanuel Bourdieu a de nouveau fait appel à son compositeur-fétiche, Grégoire Hetzel -qui travaille également avec Arnaud Desplechin, autre vieux complice de Bourdieu. "Grégoire est un collaborateur essentiel", souligne le réalisateur. "Il n'y a pas de voix de narration dans ce film et, dans la tradition du film noir avec laquelle on joue constamment, il y aurait pu en avoir une. Mais, en réalité, c'est la musique de Grégoire qui joue ce rôle. On l'a conçue comme une forme de narration. C'est ma voix. C'est un point de vue de mise en scène."
Au départ, le cinéaste avait pensé intituler son film Mascarade.