Becker ne m’avait jusqu’à lors pas laissé un souvenir impérissable au travers de son cinéma. Parfois plaisant, parfois raté, mais rarement mémorable. Montparnasse 19 est sûrement le meilleur film que je vois de lui pour l’instant, dans un registre dramatique où il parvient à offrir de l’émotion et du volume.
Il le doit en grande partie à un casting au top. Si Gérard Philipe n’a pas l’accent italien, ni vraiment le type italien qui lui aurait permis d’être pleinement crédible, il n’en reste pas moins que le jeu d’acteur est là et l’interprète hautement convaincant. Sa prestation en Modigliani éméché est spécialement saisissante. Il fait face à un Lino Ventura excellent en marchand de tableau impitoyable, tandis que Gérard Séty qui campe Sborowsky est lui aussi très juste. Le casting féminin ne manque pas de charme, avec une Anouk Aimée, idéale en femme douce et amoureuse qui supporte les caprices de son époux, tandis que Lilli Palmer explose dans ce métrage. Sa grâce, la subtilité de son jeu, la force de son personnage, font qu’en ayant un rôle pourtant secondaire elle reste largement imprimée dans la mémoire.
Le film dispose d’une histoire un peu inégale, qui lui fait perdre un peu de points dans ma critique. Si le métrage ne manque pas de scènes fortes, et si la critique des marchands d’art, sévère, est bienvenue, si le film est fidèle à l’histoire, on pourra lui adresser deux reproches. Le premier d’être assez répétitif, car au bout du compte il n’y a pas grand-chose pour remplir le quotidien du peintre. Becker semble donc davantage offrir une succession de moments choisis, certains se répétant, d’autres ayant un intérêt moindre et trainant un peu en longueur. Deuxième souci, le côté un peu trop « pathos » du film. Notamment dans le final. Becker appuie ses effets, parfois à l’excès.
Quant à la forme elle est solide. Le métrage dispose de beaux décors, surtout d’une belle ambiance, car la reconstitution du temps manque un peu d’extérieurs pour vraiment nous plonger dans l’immédiat après-guerre. Becker soigne ses effets de lumière, ses contrastes, et il fait preuve d’une maitrise certaine, lui qui a insisté pour tourner en noir et blanc. Il met très bien en valeur les visages. Le film s’accompagne d’une bande son réussie.
Je dirai que Montparnasse 19 est un beau film, avec de l’émotion, qui ravira peut-être moins les amateurs de peinture que de drame humain. Ce Modigliani aurait pu s’appeler Dupont, que cela n’aurait pas changé grand-chose au fond. 4