En réaction à son premier long métrage, Mensonges et trahisons et plus si affinités..., une comédie très contemporaine, Laurent Tirard a choisi de se lancer dans un film d'époque. Il revient sur la genèse du projet : "J'avais le souvenir d'avoir lu Le Misanthrope avec plaisir au lycée, mais rien depuis. Je me suis donc replongé dedans et, maturité et expérience aidant, cela m'a beaucoup plus parlé aujourd'hui qu'à l'époque ! Du coup, j'ai eu envie de lire Molière. J'ai découvert Les Femmes Savantes que je ne connaissais pas du tout. J'ai tout aimé de cette pièce brillante. Au-delà de la magie des mots, les situations étaient universelles, intemporelles et Molière les restituait avec un sens de la nature humaine unique. Comment faire un choix ? Comment adapter ? Le Misanthrope ne me suffisait pas, Les Femmes Savantes non plus. En parallèle, je me suis évidemment intéressé à l'auteur et j'ai commencé à lire des biographies.” En compagnie de Grégoire Vigneron, qui était déjà le co-scénariste de son premier opus, il a ainsi eu l'idée d'"orchestrer une rencontre imaginaire entre l'auteur et son oeuvre".
Ce Molière n'est pas une biographie de l'auteur du Malade imaginaire (contrairement au Molière d'Ariane Mnouchkine), les auteurs s'étant amusés à imaginer ce qui est arrivé au jeune homme, âgé de 22 ans, après avoir été envoyé en prison en 1645 à cause de ses dettes. Laurent Tirard justifie le choix de cette période : "Les biographies des années 50 parle d'une disparition de plusieurs mois. Même si ce fait est aujourd'hui parfois remis en cause, nous avons choisi de nous intéresser à cette période décisive qui survient au moment où Molière affronte son pire échec de tragédien, juste avant le grand départ pour la tournée en province qui marquera le véritable début de son envol. De ce mystère, de cette absence, nous avons décidé de faire le coeur du film."
Avec Molière, Laurent Tirard emprunte une voie tracée par John Madden en 1995. Ce réalisateur anglais s'était alors attaqué au monument du théâtre local, Shakespeare, mêlant éléments biographiques et références à l'oeuvre littéraire pour raconter avec humour et légèreté la jeunesse de l'auteur de Roméo et Juliette. Le résultat fut couronné de succès : Shakespeare in Love a remporté 7 Oscars, dont ceux de Meilleur film, Meilleur scénario et Meilleure actrice pour Gwyneth Paltrow.
Trouver un comédien qui interpréterait Molière s'est révélé délicat. En effet, "de par la nature même du concept, le personnage de Molière dans le film est très souvent spectateur, en particulier vis-à-vis de Jourdain (...) Un acteur qui aurait manqué de présence aurait très vite été effacé", explique Laurent Tirard. Le choix de Romain Duris n'était pas forcément évident, comme le note le réalisateur : "Romain n'avait jamais fait de théâtre, encore moins de théâtre classique, et c'était une vraie inconnue. Au troisième jour du tournage, on devait jouer Les Fourberies de Scapin et quand Romain s'est lancé, il nous a tous sidérés." L'acteur confie avoir beaucoup travaillé en amont du tournage : "J'ai même fait de la calligraphie. Une heure par jour, la pratique de l'écriture à la plume me transportait ailleurs. J'ai appris le texte à l'avance pour me le mettre en bouche et respecter la précision du langage. Je suis peu à peu entré dans le personnage, au point de reprendre certains mots et cette diction dans ma vie de tous les jours !"
Laurent Tirard et son scénariste Grégoire Vigneron se sont beaucoup documentés pour la préparation du film. A propos des nombreuses biographies disponibles, le réalisateur note : " Certaines sont très documentées mais un peu froides, presque cliniques. La biographie très romancée de Mikhaïl Boulgakov fait grogner beaucoup d'historiens mais elle nous a donné un éclairage beaucoup plus humain sur le personnage. Les biographies ont souvent le défaut de vouloir absolument mettre en valeur les qualités de Molière et de montrer son incroyable génie. En idéalisant le personnage, les biographes créent une distance et nous empêchent de nous attacher à lui humainement. En revanche, ses défauts, sa faible capacité à l'autodérision, son côté un peu caractériel, sa lâcheté, le descendent un peu de son piédestal et le rapprochent de nous." Grégoire Vigneron précise de son côté : "Notre ambition n'était pas de faire une thèse sur Molière. Notre histoire est une fiction, mais directement inspirée de son esprit et de son travail. Il a quand même été réellement jeté en prison pour dettes, et c'est ensuite qu'il a disparu..."
Contrairement à ce qu'on aurait pu imaginer, l'amoureux du verbe Fabrice Luchini n'a pas immédiatement accepté le rôle qu'on lui proposait... "Fabrice a beaucoup hésité à faire le film. En effet, si une personne en France peut être considérée comme spécialiste de la langue française, du texte et donc de Molière, c'est lui. Et il se trouvait face à un jeune réalisateur qui a fait un vague premier film et lui annonce qu'il va faire un film sur Molière ! Je venais en quelque sorte chasser sur ses terres. Ensuite, je lui proposais le rôle de Monsieur Jourdain et il a eu beaucoup de mal à se débarrasser de l'image que tout le monde en a, celle d'un gros nigaud, d'un imbécile heureux, totalement ridicule, complètement inculte – tout le contraire de Fabrice. Lors de notre première rencontre, il m'a même demandé si je l'avais choisi par une volonté perverse de l'humilier – ce qui m'a beaucoup fait rire ! J'ai eu du mal à le convaincre que pour moi, Jourdain était un personnage beaucoup plus complexe et qu'il fallait un acteur de sa puissance pour renverser tous les a priori que le nom du personnage engendrait."
Au cours de son escapade, le jeune Molière rencontre des individus fortement inspirés des figures bien connues de ses futures oeuvres. A propos du choix de ces personnages, Laurent Tirard explique : "Nous avons dû en éliminer beaucoup, ce qui fut souvent douloureux. Nous avons resserré sur certains, en avons aussi fusionné plusieurs en un seul. Ainsi, Célimène [Ludivine Sagnier) est un mélange de la Célimène du Misanthrope, de la Philaminte des Femmes Savantes et elle est entourée des Précieuses Ridicules. Même Jourdain [Fabrice Luchini] est un mélange [entre le Orgon du Tartuffe et le Chrysale des Femmes savantes]. Nous avons aussi attribué les qualités de certains personnages à notre Molière lui-même." Molière se fait en effet passer pour un certain M. Tartuffe. Les autres protagonistes du film ont pour nom Dorante (un héros qu'on trouve dans Le Bourgeois gentilhomme ou L'Ecole des femmes, il a ici les traits d'Edouard Baer) et la compagne de M. Jourdain se prénomme, comme l'épouse d'Orgon dans Tartuffe, Elmire (c'est Laura Morante) Quant à la fille d'Elmire et Jourdain (incarnée par Fanny Valette), elle s'appelle Henriette, tout comme la jeune héroïne des Femmes savantes : l'une et l'autre souhaitent d'ailleurs épouser un jeune homme qui déplaît fortement à leur père...
Ariane Mnouchkine, grande figure du théâtre français, a signé en 1978 un film-fleuve (4 heures) de référence, évoquant la jeunesse du dramaturge, interprété par Philippe Caubère. Mais dès 1909, Léonce Perret réalisait une biographie de Molière, interprété successivement par Abel Gance et André Bacqué. L'auteur du Misanthrope apparaît aussi dans plusieurs films d'époque dont il n'est pas forcément le personnage central, à commencer par les fantaisies historiques de Sacha Guitry Si Paris nous était conté (avec Gilbert Gil en Poquelin) et Si Versailles m'était conté... (avec cette fois Fernand Gravey). Plus récemment, Bernard Giraudeau et Tchéky Karyo ont tenu ce rôle, respectivement dans Marquise de Véra Belmont et Le Roi danse de Gérard Corbiau. Enfin, deux mois après la sortie du Molière de Laurent Tirard est annoncée celle d'un Jean de La Fontaine, mis en scène par Daniel Vigne, avec Julien Courbey en Molière.
Laurent Tirard a confié le personnage de Dorante à Edouard Baer, héros de son premier long métrage, Mensonges et trahisons et plus si affinités.... Signalons l'apparition, dans le rôle d'un notaire, d'un vieux complice du comédien, Francis Van Litsenborgh.